Le Canada à contre-courant idéologique

Poussés dans leurs retranchements par la défection de l’électorat québécois et par la remontée dans les sondages des libéraux menés par Michael Ignatieff, les conservateurs semblent se rabattre sur leurs positions idéologiques radicales. Pour conserver leur base électorale conservatrice, les conservateurs suivent une ligne politique à contre-courant du renouveau progressiste et scientifique américain.

La prise de position idéologique des conservateurs est particulièrement marquante dans les questions du financement de la science. Les coupes récentes dans les budgets du Conseil de recherche en sciences naturelles et génie et des Instituts de recherche en santé projettent une image négative de l’ambition scientifique du Canada. Ce ne sont pas les sommes annoncées pour rénover les bâtiments universitaires qui retiendront les scientifiques de haut calibre au pays. La vision des sciences qu’ont les conservateurs est particulièrement déconnectée de la réalité moderne. Avec un ministre des sciences et technologies qui refuse d’aborder la question de l’évolution en prétendant que cela relève de la religion, on ne peut s’étonner de la politique scientifique des conservateurs.

Le Canada a déjà un retard dans la recherche privée avec des investissements en recherche et développement (R&D) qui représentent à peine plus de 1 % du produit intérieur brut (PIB) canadien, donc bien en dessous de la moyenne de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (1,56 %). La politique conservatrice nous place ainsi en porte à faux avec les États-Unis où Barack Obama a promis de rehausser les investissements en R&D à plus de
3 % du PIB.

Ce nouvel élan de conservatisme prend une forme particulièrement radicale dans l’Ouest canadien. Conforté par un gouvernement fédéral sympathisant, le Parti progressiste-conservateur de l’Alberta, mené par Ed Stelmach, a déposé, il y a quelques jours, un projet de loi qui permettrait aux parents de retirer leurs enfants de l’école quand le sujet de l’évolution ou de l’homosexualité serait traité. Selon le parti au pouvoir, les questions religieuses et d’éducation sexuelle sont du ressort parental. Avec un tel projet de loi, les progressistes-conservateurs de l’Alberta exposent la jeunesse aux préjugés potentiels de leurs parents et font reculer le combat pour la normalisation de l’homosexualité.

De l’autre côté de la frontière, on assiste pourtant à un retournement majeur sur la question de l’homosexualité. Bien que des États très conservateurs comme l’Arkansas ont des législations similaires au projet de loi albertain, plusieurs États sont sur une voie beaucoup plus progressiste. Depuis le 3 avril, un renversement majeur s’est opéré avec la décision de la Cour suprême de l’Iowa, qui a jugé que l’interdiction du mariage homosexuel était inconstitutionnelle. Depuis cette date, trois nouveaux États, l’Iowa, le Vermont et le Maine ont légalisé le mariage entre conjoints du même sexe, emboîtant ainsi le pas au Massachusetts et au Connecticut.

Le gouvernement conservateur ne cache plus son radicalisme. Alors que la question de la légalisation de la marijuana commence à prendre place dans les débats publics aux États-Unis, principalement en Californie, au Canada, les conservateurs déposent un projet de loi pour renforcer les peines. Le projet de loi C-15 obligerait des peines minimales de six mois pour quiconque ferait pousser entre un et 200 plants de marijuana dans le but d’en faire le trafic. Ce projet de loi est déposé alors qu’un rapport, publié sur le site du ministère de la Justice, conclut que les peines minimales obligatoires ne semblent pas influer sur la consommation de drogue ou la criminalité liée à la drogue. Le choix des conservateurs, dans ces circonstances, ne peut qu’être idéologiquement orienté, dans le but de plaire à une base électorale conservatrice.

Les conservateurs avaient commencé à montrer leur vrai visage lors de la dernière campagne électorale avec les coupes en culture et le projet d’imposer des peines plus sévères aux jeunes contrevenants. La politique scientifique conservatrice pourrait avoir des répercussions importantes sur notre société en contribuant à un nouvel exode des cerveaux vers la contrée américaine, plus réceptive aux hommes de science. Stephen Harper, l’homme qui a déjà milité pour la séparation de l’Alberta, nous démontre ainsi que ses choix idéologiques sont plus importants que l’avenir économique et la cohésion sociale du pays.

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