Les cimetières de Québec

L’archiviste et historien Pierre-Georges Roy mentionne que l’histoire des cimetières de Québec commence non pas avec la fondation de la ville, mais dès 1535, alors que Jacques Cartier hiverne sur les rives de la rivière Saint-Charles avec ses hommes. La rigueur des hivers canadiens et l’omniprésence de la maladie déciment 25 de ses compagnons. Bien qu’on ignore où ils ont été inhumés de façon précise, Pierre-George Roy suppose qu’ils l’ont été près du lieu où ils séjournaient, puisqu’on ne souhaitait pas que les Amérindiens, avec qui les relations s’étaient envenimées, apprennent ces morts.
Avec la fondation de la ville, en 1608, il faut nécessairement prévoir un emplacement pour les trépassés. Dans le coude de la côte de la Montagne se trouve un terrain en pente inoccupé de forme triangulaire. «À vrai dire, ce terrain est plein de monde!», souligne Bertrand Guay. Il s’agit même du premier cimetière de Québec, qu’un monument commémore encore aujourd’hui. Y reposent notamment pour leur dernier repos, Marie Rollet, veuve de Louis Hébert, et plusieurs notables de l’époque, mais aussi des Amérindiens et de simples colons dont certains ont été massacrés par des Iroquois.

Mgr de Saint-Vallier, trouvant le terrain voisin fort agréable, décida d’y élever son Palais épiscopal, au lieu actuel du Parc Montmorency, freinant ainsi l’expansion du cimetière et empiétant même sur celui-ci. Pour compenser, l’évêque de Québec offrit les terrains jouxtant la cathédrale, proposition qui eut beaucoup de succès, puisqu’on aménagea non pas un, mais deux cimetières: Sainte-Anne et Sainte-Famille. Bertrand Guay ajoute: «On peut ainsi, sans se tromper, affirmer que la cathédrale en était ceinte !» Son sous-sol abonde également en sépultures. Dans la crypte actuelle, on trouve pas moins de 900 morts, dont au moins 500 sous le régime français. Mentionnons certains hauts personnages tels que les gouverneurs Frontenac, de Callières et Rigaud de Vaudreuil, l’ingénieur Chaussegros de Léry, le pionnier de l’éducation Joseph-François Perrault ainsi que le peintre Joseph Légaré.

Des épidémies
Une terrible épidémie de variole frappa Québec en 1702. Cette épidémie donna son nom à un nouveau cimetière où les victimes de la maladie furent toutes enterrées, le cimetière des Picotés. Le site se trouve aujourd’hui sous la rue Couillard à la jonction de la côte de la Fabrique et de la rue Saint-Jean, là où on peut entre autres voir le monument Livernois. Ce sera le principal lieu d’inhumation du XVIIIe et du début du XIXe siècle. En 1832, une nouvelle épidémie (de choléra, cette fois) entraîna la création d’un nouveau cimetière, en dehors des murs de la ville, le cimetière Saint-Louis, situé à l’angle des rues Salaberry et Grande-Allée – où est aujourd’hui situé l’Îlot Saint-Patrick. François Droüin, historien-archiviste, rappelle que «le cimetière des Picotés étant devenu franchement insalubre – la population se plaignait régulièrement de ses odeurs fétides – on le ferma en 1858 et on transporta les corps vers le cimetière Belmont, aménagé à partir de 1857 et inauguré en 1859». On fit de même avec ceux du cimetière Saint-Louis.

L’élite francophone
L’inauguration du cimetière Notre-Dame de Belmont coïncide avec une approche plus humaine du culte des morts. L’époque victorienne est marquée par une crainte de la mort qui rejette loin du quotidien la présence des défunts. Mieux encore: on leur aménage de véritables jardins pour honorer leur mémoire. Le cimetière Belmont, tout comme les cimetières Mount Hermon et Saint-Charles, aménagés à la même époque, s’inscrit dans ce nouveau courant des cimetières jardins. C’est même à l’architecte Charles Baillargé qu’est confié le soin d’en concevoir les plans. Baillargé eut entre autres l’idée de donner à chacune des premières allées aménagées une essence différente d’arbre. Bertrand Guay raconte que «certaines allées portent les noms des arbres qu’on trouvait sur le terrain. Ils avaient été choisis comme emplacement du nouveau cimetière, qui allait devenir le lieu de sépulture de la haute bourgeoisie et de l’élite intellectuelle ou politique francophone de la ville». Par exemple, l’historien François-Xavier Garneau y côtoie le premier ministre Félix-Gabriel Marchand, le peintre Théophile Hamel, le pamphlétaire Arthur Buies, le conteur Faucher de Saint-Maurice, le compositeur Antoine Dessane, et une multitude d’autres personnalités. Dans une section plus récente du cimetière, sont enterrés les premiers ministres Louis-Alexandre Taschereau et Jean Lesage, les grands ténors Raoul Jobin et Richard Verreau, et tant d’autres.

Deux sections du cimetière Belmont ont été curieusement abandonnées, mais comptent néanmoins quantité de monuments, la plupart dans un état déplorable. «Ces sections sont évidemment empreintes d’un grand mystère qui les rend d’autant plus intéressantes», commente Bertrand Guay qui avoue en outre bien aimer leur ambiance de films de peur.

Pour les anglophones
Dans le cas des anglophones, deux cimetières sont particulièrement remarquables, le Saint-Matthews et le Mount Hermon. Située aux abords de la rue Saint-Jean, sur le terrain de l’ancienne église Saint-Matthews, aujourd’hui convertie en bibliothèque, le premier a été ouvert dès les débuts du régime anglais, mais a été fermé en 1860. À l’entrée du cimetière gît le frère du célèbre écrivain écossais Walter Scott, qui aurait participé à la rédaction d’un chapitre du roman Waverly de son illustre frère. Quant au Mount Hermon, il prit le relais du cimetière Saint-Matthews, qui était alors plein. Son site agréable, qui surplombe la falaise et le Saint-Laurent, ainsi que son aménagement en font l’un des plus beaux de la région. Un troisième cimetière anglophone mérite d’être signalé, le Saint-Patrick, qui dessert la communauté irlandaise.

Destiné à Napoléon II
Bertrand Guay explique également qu’«on retrouve à Québec le tombeau destiné à l’origine au fils de Napoléon, surnommé l’Aiglon». En effet, Napoléon II ayant rejoint son illustre père aux Invalides, à Paris, son tombeau se trouva sans occupant et fut acheté par un riche commerçant de Québec, William Venner, grand-père d’Irma LeVasseur, la première femme médecin francophone du Québec. Ce tombeau impressionnant se trouve au cimetière Saint-Charles, le plus vaste de la région de Québec.

Alors, envie d’une ballade dans un de ces lieux de mémoire? N’est-ce pas Félix Leclerc qui disait «La mort, c’est grand, c’est plein de vie dedans»… Il en va de même des cimetières. «Suffit de creuser un peu», ironise Bertrand Guay.

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