Un liquide peu accessible

Depuis 1997, le Forum mondial de l’eau est organisé pour que les questions relatives à cette ressource primordiale à la survie des êtres vivants de notre planète soient discutées. Réunissant autant les pouvoirs gouvernementaux, régionaux et locaux que les entreprises privées spécialisées dans la commercialisation de l’eau, ce forum est montré du doigt par certains opposants. Ces derniers sont menés par deux ONG, la Corporate Europe observatory et l’International rivers, qui accusent les entités publiques et privées présentes de vouloir privatiser l’eau et de favoriser la construction d’infrastructures détruisant l’environnement (les barrages, par exemple). L’ouverture du forum, le 16 mars dernier à Istanbul, en Turquie, a été le théâtre de violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre.

L’organisation d’un tel rassemblement à Istanbul est chargée de symboles, à la vue de la situation conflictuelle que la Turquie vit avec ses voisins irakiens et syriens. Se trouvant en amont des deux fleuves nourriciers de la région, le Tigre et l’Euphrate, la Turquie multiplie la construction de barrages, s’appropriant ainsi 72% du débit des deux fleuves. Dans un passé très récent, cette situation a créé des tensions graves entre les trois pays, des mouvements de troupes militaires aux frontières ayant même été constatés. Bien sûr, ce sujet a été totalement occulté des discussions de la semaine dernière et la problématique de l’accès à l’eau, évacuée de la déclaration finale.

Après une semaine de débats, les intervenants se sont accordés pour formuler des recommandations, telles que la modification de la consommation d’eau en agriculture et la lutte contre la pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques. Quelles avancées! Une semaine de discussions pour en revenir à des recommandations théoriques sur des sujets qui font débats depuis plus de 40 ans dans les sociétés occidentales. La France, l’Espagne et certains pays d’Amérique latine et d’Afrique espéraient que l’eau allait enfin être considérée comme un droit humain. Pour l’instant, son statut ne bouge pas et l’eau reste un besoin, sans plus. Mme Chantal Jouanno, la secrétaire d’État française à l’écologie, a considéré la déclaration finale comme «incolore, inodore et sans saveur».

Le jour de la clôture du forum, le 22 mars, coïncidait avec la Journée mondiale de l’eau. À cette occasion, la mairie de Québec a annoncé son intention de bannir l’eau embouteillée de l’administration municipale. Sage décision, quand on sait à quel point les producteurs d’eau en bouteille profitent des aquifères souterrains à moindre coût. De plus, l’achat de bouteilles d’eau tend à accepter implicitement que l’eau est une marchandise, ce qui, éthiquement, est inadmissible. La prochaine étape consisterait à sensibiliser la population à sa consommation quotidienne d’eau.

Selon les chiffres d’Environnement Canada, les Canadiens sont les deuxièmes consommateurs d’eau au monde, avec plus de 320 litres par jour, juste derrière nos voisins du sud. Les actes de notre vie quotidienne responsables de cette surconsommation sont le lavage intempestif des autos, le remplissage des piscines, la prise de douches interminables, le tirage de la chasse d’eau après chaque utilisation, et, bien sûr, le délabrement du réseau d’aqueducs. Cette dernière raison est indépendante de la volonté des consommateurs, mais est responsable de presque 20% de la perte d’eau à Québec. Selon le Plan triennal d’immobilisations 2009-2011 de la Ville de Québec, presque 5 M$ seront alloués à la rénovation du réseau d’aqueducs et d’égouts. Espérons que ce soit suffisant pour pallier cette perte inutile et évitable.

L’eau, l’environnement, les droits sociaux et humains s’imbriquent pour créer une problématique complexe, sur laquelle il est urgent de se pencher. Les pouvoirs publics, les entreprises privées et nous, citoyens, devons accepter de sacrifier certains aspects de notre mode de vie égoïste pour minimiser notre impact sur la planète et montrer notre solidarité à l’égard de pays pour qui l’accès à la ressource hydraulique est un luxe. Et c’est plus qu’une recommandation, c’est un devoir.

Consulter le magazine