Affaire Lola: «La balle est dans le camp du législateur»

La Cour d’appel a rendu, sous la plume de la juge Dutil, une décision déclarant inconstitutionnelle l’exclusion des conjoints de fait du régime d’obligation alimentaire. Pour y voir plus clair, Impact Campus a rencontré Dominique Goubau, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval et avocat conseil de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec ( FAFMRQ ) dans ce dossier.

Impact Campus: Dans cette affaire, la Cour supérieure a mis de l’avant le droit à la liberté, alors qu’en appel le droit à l’égalité prime. Comment expliquer ce revirement ?

Dominique Goubau : Il faut nuancer. En première instance, il y avait principalement deux questions qui étaient posées, soit la validité constitutionnelle des dispositions en matière de partage de biens des conjoints mariés et le caractère discriminatoire de la disposition qui exclut les conjoints de fait de l’obligation alimentaire.

Sur le premier volet, l’appelante a perdue. Le partage automatique des biens entre conjoints mariés, qui ne s’applique pas aux conjoints de fait, n’est pas discriminatoire à leur égard parce que le principe de la liberté individuelle doit l’emporter sur toute autre considération.

Pour le second point, la première juge, Carole Hallée, a traité la question de l’obligation alimentaire sur le même pied que la question du partage des biens.

La Cour d’appel vient rectifier le tir en précisant que l’obligation alimentaire ne devrait pas être un effet du mariage mais un effet de la conjugalité. Au moment de la séparation, lorsqu’un des conjoints, en raison de la conjugalité ou de la rupture de celle-ci, se retrouve dans un état de précarité, l’autre doit pouvoir le soutenir.

I.C. : La juge Dutil affirme que l’obligation alimentaire doit s’appliquer aux conjoints de fait ayant une relation stable. Qu’est-ce qu’une relation stable ?

D.G. : Certaines lois définissent les conjoints de fait, telle la Loi d’interprétation qui donne une définition par défaut. Cette loi considère comme conjoints de fait des personnes ayant fait vie commune pendant un an ou ayant eu un enfant. C’est assez rapide.

Cela ne veut pas dire que c’est nécessairement cette définition qui sera retenue pour le cas qui nous préoccupe, car la Cour d’appel ne parle que d’union stable.

I.C. : Quelles options s’offrent au législateur ?

D.G. : Si le gouvernement plaide sur le fond et défend l’article 585 du Code civil devant la Cour suprême, le jugement sera confirmé d’après ma boule de cristal. C’est une décision qui s’inscrit dans la droite ligne de la philosophie de la Cour suprême en droit de la famille des dix dernières années.

Si le gouvernement prend l’initiative de modifier la loi, plusieurs options s’offrent à lui. Il peut ajouter simplement les conjoints de fait dans l’article 585 et ne pas apposer de définition. Il peut aussi écrire une définition particulière. À l’aide d’un texte soigneusement rédigé, plusieurs modulations sont envisageables. La balle est dans le camp du législateur.

I.C. : L’insertion d’une clause dérogatoire permettant d’échapper à l’application de la Charte est-elle une option ?

D.G. : L’utilisation de la clause dérogatoire à l’égard d’une obligation alimentaire que la Cour qualifie de droit fondamental, d’outil de protection des familles est inimaginable. Ce serait un suicide politique.

I.C. : L’obligation alimentaire se justifie avant tout comme une mesure sociale. Comment peut-on en arriver à des demandes s’élevant à une pension de 56 000 $ par mois, tel que le demande « Lola » ?

D.G. : La pension alimentaire devrait viser à permettre au conjoint « démuni » de retrouver un style de vie qui ne s’éloigne pas trop de celui qu’il a eu durant la vie commune. C’est pourquoi la pension variera selon les revenus des individus. Elle n’est pas simplement nourriture et vêtements. On y inclut désormais le divertissement, le déplacement, l’argent mis de côté pour la retraite. Cette notion large explique que dans des dossiers de millionnaires, il y a des pensions alimentaires de millionnaires.

Consulter le magazine