nterview avec l’auteure Maureen Webb

Des démocraties malmenées par la peur

L’auteure était à New York, le 11 septembre 2001, au moment où l’ère de la lutte au terrorisme allait s’ouvrir à la suite des attentats qui ont ravagé le World Trade Center et fait près de 3000 victimes. Bien qu’elle affirme avoir expérimenté cette peur qui, depuis l’événement, n’a cessé de hanter les Américains, elle se dit stupéfaite de la réplique qui a été offerte par les élites étasuniennes : un serment de lutte sans merci au terrorisme, même au détriment des droits humains. Une logique qui, selon Mme Webb, coûte extrêmement cher et produit des résultats douteux et menaçants pour la démocratie.

Depuis les tragiques événements du 11 septembre, les gouvernements de nombreux pays se sont mobilisés dans l’optique d’accroître la sécurité de leurs citoyens. Pour arriver à leurs fins, ils ont mis en réseaux de nombreux programmes visant à surveiller avec de plus en plus de zèle les activités de leurs populations et ainsi identifier les risques potentiels de voir survenir d’autres attaques terroristes. Selon l’auteure, la tendance vers une surveillance toujours plus accrue risque fortement d’être irréversible. Ses effets sont pervers, puisqu’elle « rend l’individu responsable devant l’État, mais pas vice-versa. Cela est très préoccupant pour la démocratie », estime Mme Webb.

 « Nous sommes tous devenus des suspects », ajoute-t-elle, soulignant que des milliards d’appels téléphoniques et de courriels privés ont été surveillés et enregistrés aux États-Unis et ailleurs dans le monde depuis 2001, permettant ainsi aux autorités de dresser des portraits exhaustifs de nombreux citoyens. « À mesure que le temps passe, l’individu devient de moins en moins anonyme », dit-elle.

Par exemple, les États-Unis ont implanté depuis 2001 une carte d’identité pourvue d’identifiants biométriques à même le permis de conduire des citoyens, une mesure généralement employée dans les pays non démocratiques et permettant aux autorités d’avoir un contrôle infaillible sur l’identité des citoyens à tout moment. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le gouvernement libéral de Jean Chrétien a tenté d’emboîter le pas, sans succès toutefois. Cependant, le passeport canadien est désormais biométrique et possède ainsi une puce électronique contenant une photo numérique du visage du titulaire.

Il serait donc faux d’aller croire que le Canada est moins actif que les États-Unis en matière de surveillance, puisqu’il multiplie lui aussi les pirouettes technologiques pour accumuler de l’information et que nombreuses sont les mesures de surveillance qui sont implantées internationalement. Selon Mme Webb, « on vit actuellement un abandon de l’intelligence humaine et un repli sur la technologie », un phénomène qui inonde les autorités avec trop d’information et qui, du coup, les empêche de travailler efficacement sur les vrais problèmes.

Bien que Mme Webb reconnaisse que le monde tel qu’il est aujourd’hui est moins sécuritaire que dans le passé, elle présume que nos gouvernements y sont pour quelque chose. « Nous avons encouragé les attaques terroristes en réagissant de façon excessive. Il faut être naïf pour aller croire que les gouvernements peuvent nous protéger à 100% », affirme-t-elle, laissant tomber au passage qu’en réagissant démesurément, nous offrons aux terroristes la tribune médiatique et politique dont ils ont besoin pour mener leurs activités.

Dans tous les cas, la sortie imminente de la version française de Illusions of Security : Global Surveillance and Democracy in the Post-9/11 World est une bonne nouvelle pour quiconque aurait le désir de se plonger davantage dans les idées originales de Maureen Webb, une femme intellectuellement rigoureuse qui appuie remarquablement bien ses dires sur des faits. Reste maintenant à voir si, au cours des prochaines années et décennies, la tendance vers toujours plus de surveillance se maintiendra et s’avérera irréversible, comme elle le prédit.

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