Retour sur la conférence : publique «La prostitution et le travail du sexe : quels enjeux pour les femmes?»

La pratique de la prostitution décriminalisée?

L’un des points les plus discutés lors de cette conférence tenue à l’auditorium Jean-Paul Tardif du Pavillon La Laurentienne a été l’impact de l’actuel régime prostitutionnel canadien sur la sécurité des travailleuses du sexe, une thématique sans contredit inspirée par la conjoncture judiciaire du pays.

En effet, la Cour Supérieure de l’Ontario a rendu, en septembre dernier, le jugement Bedford en statuant que l’actuel cadre législatif entourant la prostitution au Canada ne protège pas les travailleuses du sexe, mais représente plutôt une atteinte indéniable à leur sécurité, une conclusion que Julie Desrosiers, professeure de droit à l’UL, partage entièrement.

«De plusieurs façons, la loi augmente les risques liés à la prostitution », affirme Mme Desrosiers. Elle souligne cependant que la prostitution, contrairement à la croyance populaire, est légale au Canada. «C’est la pratique de la prostitution qui est criminalisée sous plusieurs formes», spécifie-t-elle.

Pas exemple, les activités reliées aux maisons de débauche, au proxénétisme et à la communication à des fins de prostitution (une expression qui fait référence à la sollicitation) sont des pratiques considérées comme criminelles.

Selon Mme Desrosiers, les problèmes inhérents à ces lois sont multiples. En effet, les prostituées ne peuvent notamment pas travailler en groupe ou discuter trop longuement avec leurs clients potentiels dans le but d’établir un lien de confiance, de peur d’être repérées par les forces de l’ordre.

Mme Desrosiers perçoit donc le jugement Bedford d’un plutôt bon œil puisqu’il statue que l’ensemble du régime prostitutionnel canadien est inconstitutionnel puisqu’il représente une violation du droit à la sécurité des travailleuses du sexe. Cela ouvre donc la porte à de possibles changements législatifs qui pourraient potentiellement aller dans le sens d’une protection accrue des prostituées.

L’avis de Mme Desrosiers est somme toute partagé par Geneviève Quinty, coordonnatrice du Projet Intervention Prostitution Québec, qui croit que «le cadre actuel est un échec. Je peux le démontrer parce que ça fait 17 ans que je suis sur le terrain».

Elle ajoute que «si notre objectif est de protéger les femmes par la décriminalisation, c’est la bonne voie», prenant toutefois soin de mentionner que des mesures complémentaires doivent néanmoins être prises. «Il faut aussi travailler sur la pauvreté. Il faut travailler sur l’accès aux soins de santé», dit-elle.

De son côté, Yolande Geadah, chercheuse autonome à l’Institut de recherche et d’études féministes de l’UQAM, estime au contraire que la décriminalisation n’assurerait pas la sécurité des femmes et que le jugement Bedford est erroné, notamment parce qu’il laisse entendre que la prostitution est inévitable.

«98 % des prostituées disent vouloir sortir de ce milieu», affirme Mme Geadah. «L’acte de prostitution est une violence faite à soi-même qui mène à l’aliénation à sa propre sexualité», indique-t-elle.

Mme Geadah croit donc que si le Canada en venait à décriminaliser la prostitution, il devrait à tout le moins s’inspirer du modèle suédois qui a notamment assorti la décriminalisation d’une myriade de mesures d’aide pour les femmes, tout en interdisant formellement l’achat de sexe. Il s’en est suivi une diminution notable de la prostitution en Suède au cours de la dernière décennie, selon les dires de Mme Geadah.

En attendant une possible révision du régime prostitutionnel canadien, il est toutefois possible de poser des actions concrètes afin d’améliorer le sort des travailleuses du sexe au pays. C’est en réalité ce que tente de réaliser le Projet LUNE, notamment composé de femmes qui ont été ou qui sont travailleuses du sexe, en identifiant les besoins les plus criants pour celles qui sont toujours actives.

L’une des représentantes du projet, Andréanne Thivierge, croit que la sécurité des femmes est un point névralgique : «Il ne faudrait pas oublier l’aspect protection, puisque les filles acceptent souvent n’importe quoi pour manger et dormir», dit-elle.

Il n’en demeure pas moins que plusieurs, dont Geneviève Quinty, croient qu’une révision de la loi est nécessaire pour protéger les prostituées au pays et que ces dernières devraient être consultées. «Il faut intégrer ces femmes-là dans l’élaboration d’un cadre. C’est leur réalité à elles!», affirme-t-elle.

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