Photo : Élia Barbotin

Langue française : le masculin devrait-il encore l’emporter sur le féminin ?

En France, plus de 300 enseignants se sont mobilisés en recueillant quelque 27 000 signatures par le biais d’une pétition. L’imposition des règles grammaticales qui prétendent une supériorité du masculin sur le féminin n’a plus sa place en 2017, selon eux. Qu’en est-il de la situation au Québec ?

Visant à uniformiser l’enseignement de l’écriture inclusive, les professeurs français veulent surtout placer les genres sur un même pied d’égalité. Plus précisément, ils préfèrent l’application de l’accord de proximité et l’utilisation de termes universels aux mots genrés tels qu’homme et femme dans la langue.

L’Académie française a rapidement réagi en défaveur de l’imposition d’une langue française alternative, en défendant la thèse de l’alourdissement du français. « C’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle [Académie française] lance un cri d’alarme : devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel […] », a-t-elle publié.

Selon Louise Langevin, professeure titulaire à la faculté de droit, spécialisée en droits des femmes et linguiste de formation, la France a pris du retard en ce qui a trait à la mise à jour de la langue de Molière en s’assoyant sur sa noblesse.

« Le problème se pose quand on parle d’être humain. Ici, au Québec, contrairement à la France, on ne parle plus des droits de l’homme. On parle des droits fondamentaux ou humains, mais en France, ils sont restés avec la tradition datant de 1789 avec la Déclaration du citoyen qui excluait les femmes », compare-t-elle.

Au Québec

Ayant déjà adopté la féminisation de la grammaire, à la jonction des années 1970-1980, l’Office québécois de la langue française préconise dès lors l’écriture épicène, une forme inclusive, normalisant la nomination en alternance du féminin et du masculin et l’emploi de termes génériques non genrés. Par ailleurs, qualifier la grammaire de neutre est absurde pour Mme Langevin, étant donné que les grammairiens qui l’ont institué étaient des hommes et qu’ils l’ont pensé pour des hommes.

Militant activement pour la parité des sexes dans l’écriture de la langue française, elle affirme que les termes généraux ont pour effet d’« invisibiliser » les femmes. Questionnée à savoir ce qu’elle répondrait à ceux qui prétendent inclure les femmes dans l’objectivité linguistique, elle s’indigne : « le mot “‘personne”’ est bel et bien un mot neutre. Il faut par contre se souvenir qu’à une certaine époque, la neutralité, par l’entremise du mot “‘personne” excluait les femmes. Jusqu’en 1964, au Québec, la femme était traitée comme une mineure. Il ne faut pas remonter si loin. »

Placer l’utilisation courante de termes « masculinisants » sous le couvert de la tradition n’est pas légitime pour celle qui prône plutôt le caractère malléable et vivant de la langue. Chaque année, on y ajoute de nouveaux mots, afin de se moderniser. « La langue doit refléter la réalité sociale et se doit d’être inclusive, poursuit-elle. Elle doit s’adapter ; pensez à tous les nouveaux mots qu’on a adoptés pour parler des ordinateurs. Et bien aujourd’hui, il y a des hommes et il y a des femmes. »

Elle estime également qu’il est possible de contourner le mot « homme », au profit de termes plus englobants « On a aussi essayé de désexiser en utilisant des termes épicènes. Par exemple, au lieu de dire le juge et la juge, on va parler du tribunal. »

Dans la société actuelle, où l’on tente notamment d’instaurer une certaine équivalence dans la reconnaissance des êtres humains, la modernisation des règles de grammaire passant par l’écriture inclusive serait un premier pas pour une égalité entre les sexes. À la recherche de solutions, la spécialiste en droits des femmes estime qu’une langue réellement épicène œuvrerait à faire cesser ce phénomène de sexisme discriminatoire, tout en les rendant socialement visibles. « En féminisant, on rend les femmes visibles, propose-t-elle. La langue est un reflet de la société, elle ne peut donc pas invisibiliser la moitié de la population. »

Le genre et le sexe, concepts distincts

De son côté, le professeur au Département de langues, linguistique et traduction, Jacques Ouellet, s’est longuement penché sur la féminisation de la langue d’un point de vue scientifique. Il est finalement arrivé à la conclusion suivante : « la féminisation de la langue représente une aberration fondée sur l’ignorance, parce qu’on ne sait pas distinguer le genre du sexe. Le genre grammatical est un phénomène linguistique qui n’est pas fondé sur le sexe, même s’il y a quelques fois une concordance. »

Il s’oppose à l’argument qui soutient que la règle d’accords grammaticaux disant que le masculin l’emporte sur le féminin serait la cause d’une supériorité des hommes sur les femmes au sein de la société. Or, « on peut très bien comprendre qu’on se batte pour l’équité salariale dans l’emploi de travailleurs de sexe féminin, car il y a là une reconnaissance tangible et importante. On arrive difficilement à comprendre ce que la féminisation peut apporter à la gente féminine comme véritable reconnaissance, en particulier lorsque le genre ne correspond pas au sexe », a-t-il conclu.

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