Critique d'essai: L'argent sous les palmiers

L'argent sous les palmiers

Des îles, des palmiers et des transactions secrètes… La thèse de l’ouvrage est assez simple : l’argent qui est stocké dans les paradis fiscaux, loin d’être immobile, circule et ne constitue pas une «économie parallèle». En effet, les images paradisiaques qu’on associe habituellement à ce phénomène cachent le vrai visage de la finance offshore ou «au large», notamment son rôle dans l’économie mondiale et son influence sur la gouvernance et le devenir de nos sociétés. Dans un court essai paru aux éditions Écosociété, Offshore : paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Alain Deneault s’emploie à démystifier les paradis fiscaux en montrant, entre autres, que si le développement de ces fonds établis dans des États de complaisance (Suisse, Luxembourg, Caraïbes, îles Caïman, etc.) a largement profité du laxisme et parfois de la complicité de nos États démocratiques, il menace maintenant leur souveraineté.

Deux éléments retiennent particulièrement l'attention. D’abord, il faut cesser d’associer les paradis fiscaux à une banale évasion fiscale. À l’évidence, les prérogatives des acteurs offshore sont grandement sous-estimées. Outre leur présence dans la sphère financière avec les banques et les produits dérivés, ces derniers possèdent également des compagnies d’assurance, exploitent des industries dans des zones franches industrielles et offrent un soutien à plusieurs dictatures et organisations criminelles par la vente illégale d’armes et le blanchiment d’argent. Ensuite, ce qui étonne est la dépendance de nos États envers ces actionnaires qui, à la moindre insatisfaction, n’hésitent à brandir la menace de la délocalisation. Cette intimidation force ainsi la concurrence entre les États désirant attirer les «capitaux nomades» qu’ils pourront taxer pour ensuite financer leurs programmes sociaux. Les heureux élus seront ceux qui adopteront les règles de la déréglementation néolibérale.

Le projet de l’auteur était ambitieux. Difficile en effet de bien documenter et d’analyser un phénomène qui repose essentiellement sur le secret (bancaire) et dont les quelques certitudes proviennent de scandales ou de révélations d’anciens financiers. Bien qu’il cite de nombreuses sources pour étayer son argumentation, plus de données auraient été appréciées. De plus, l’ajout de passages plus «théoriques», notamment les renvois au sociologue Georg Simmel, est un bel emballage, mais n’ajoute rien à la compréhension du phénomène. Autre remarque : après avoir brossé un portrait aussi sombre de la situation et avoir dénoncé l’inefficacité et l’hypocrisie des politiques de lutte contre l’évasion fiscale, il nous semble qu’on peut difficilement souscrire à l’idée selon laquelle la «souveraineté populaire» (autre terme pour désigner cette société civile constamment appelée en renfort) représente une réelle alternative à l’impuissance de nos États quant au règne de la souveraineté offshore. En somme, un livre qui a le mérite de proposer une bonne introduction à un sujet complexe en montrant que les immenses stocks de capitaux, dissimulés sous l’image superficielle du «paradis fiscal», ont des impacts considérables sur nos États, « les dépossédant de leurs ressources financières et de leur souveraineté politique.»

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