Cruauté et poésie

L’Instant même vient de lancer une réédition du troisième recueil de nouvelles de Jean-Pierre Girard paru initialement en 1993 et qui s’intitule Léchées, timbrées.

Le succès et le talent de Jean-Pierre Girard sont désormais bien établis. Les critiques lui ont attribué à répétition «une des voix les plus fortes de sa génération» et il a été le récipiendaire de nombreux prix littéraires. Toutefois, l’appréciation de cet ouvrage n’est pas à la portée de tous. La petite taille du livre est trompeuse; le lecteur qui s’aventure à en tourner les pages constate rapidement qu’il s’agit d’un ouvrage d’une densité insoupçonnée.

D’abord, Girard y aborde de façon générale des thèmes très durs. Depuis la première nouvelle jusqu’à la dernière, les personnages souffrent presque sans répit. Il est question d’amour à plusieurs reprises, mais jamais de cet amour qui donne des ailes. Il s’agit plutôt de l’amour porté comme un boulet qui noie littéralement ses victimes dans «Lestés par le fjord». Il s’agit aussi de l’amour devenu froid, l’amour trahi («Son enfant»), l’amour tu, l’amour impossible («Je ne peux quand même pas lui dire»). Il est aussi souvent question de meurtre («Le bûcher») et/ou de suicide («Réaction enchaînée»). Quand un petit morceau de bonheur semble poindre à l’horizon, tout à tôt fait de déraillé («Le gant»). Bref, une lecture idéale pour broyer du noir.

Toute la variété du recueil se trouve en la forme du bouquin. Le style oscille entre poésie, prose et langage soigné à un langage familier (voire carrément en joual dans «Désordre et foi»). Dans quelques-unes des nouvelles, le style poétique est si lourd qu’il étouffe le sens. Dans d’autres, la poésie arrive à transcender le sens pour en arriver à transmettre un sentiment presque à l’état pur. C’est alors que se révèle la beauté dans l’œuvre de Jean-Pierre Girard. Mais même lorsque le style est simple et direct, la ligne narrative guide toujours le lecteur vers des zones grises, sème le mystère et impose un questionnement.

Bref, quoique cruelles et difficiles à déchiffrer, les nouvelles du recueil Léchées, timbrées portent en elles une certaine beauté et sont assurées de ne pas vous laisser indifférent.

 

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