Hedda Gabler, ou comment subir sa vie

«Hedda Gabler est une femme qui n’est pas née au bon moment, ni au bon endroit», soutient Lorraine Côté, qui assure la mise en scène d’Hedda Gabler, pièce créée en 1890 par l’auteur norvégien Henrik Ibsen. «Si elle avait vécu aujourd’hui, si elle avait pu faire ses propres choix, évidemment, ça aurait tout changé. Elle ne se donne pas la permission de faire ce que son instinct lui commande», explique la metteure en scène.

Cette femme, pourtant choyée tout au long de son enfance, est victime des conventions sociales liées à son sexe, à son statut. Après le décès de son père, qui ne lui a rien laissé, elle est la victime de ces contraintes déterminantes, étouffantes, de l’époque. Pour elle, toute émancipation, toute libération est impossible.  «Elle est victime d’une série d’événements. Elle n’a rien choisi de sa vie. Elle est tellement déçue qu’elle abandonne», soutient Véronique Côté, qui interprète ce personnage d’une rare intensité.

Hedda Gabler subit donc sa vie au lieu de la choisir, ce que Lorraine Côté attribue à de la faiblesse. «Elle voit passer la parade et elle n’embarque pas. Elle manque de courage dans l’action, elle adopte plutôt un réflexe de lâcheté…». Ainsi, elle perd le contrôle de sa vie et développe une grande frustration. «Elle ne peut pas croire que c’est ça, sa vie, ajoute Véronique Côté. Elle trouve que c’est ridicule, que c’est médiocre. Elle se donne l’impression qu’elle a le contrôle en s’amusant à détruire les gens, à interférer sur le destin des autres.»

Femme fatale, femme tragique
L’interprétation de cette héroïne atypique, empreinte d’une grande fatalité, constitue d’ailleurs un défi de taille pour Véronique Côté. «Ça ne ressemble à rien de ce que j’ai fait avant. Tu ne peux pas t’appuyer sur une seule émotion. C’est davantage de l’ordre de la pulsion que de l’émotion. Hedda est victime de brusqueries, on ne sait jamais ce qu’elle va faire», affirme l’interprète, visiblement passionnée par le personnage. Une passion pour cette femme fatale que partage Lorraine Côté. «C’était mon rêve d’actrice d’interpréter Hedda Gabler! Mais là, je suis un peu trop vieille pour interpréter une femme de 29 ans!» lance-t-elle, amusée.

Ce destin féminin du XIXe siècle, intense et tragique, entraîne dans son sillage le spectateur, témoin de la détresse d’Hedda Gabler. «On voit tout ce qu’elle pense, tout ce qu’elle vit. Il y a beaucoup de rebondissements et des revirements de situation incroyables. En répétition, j’oublie même de prendre des notes!» lance Lorraine Côté qui croit que, même aujourd’hui, les femmes sont encore victimes de certaines conventions sociales. «Maintenant, le corset du XIXe siècle, il est dans notre tête. Il faut être taillée au couteau, refaite. Bien sûr, c’est mieux que c’était, mais il y a encore du chemin à faire pour se libérer de certains carcans», déclare cette femme qui semble s’être affranchie de tout corset il y a longtemps déjà…
 

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