L’art égocentrique

Certains d’entre vous ont possiblement déjà cru à l’existence d’un art thérapeutique – l’atelier Vincent et moi au Centre hospitalier Robert-Giffard, par exemple – , à la possibilité de revendications sociales par le biais de l’expression artistique ou encore à un rassemblement social suscité par un évènement créatif. Mais tout ce temps, mes pauvres amis, vous étiez dans la brume! Vous avez commis l’erreur d’un néophyte! Un véritable artiste n’est porté par aucune autre motivation que de «se mettre, lui, au monde». À tout le moins, c’est la position que défend Pierre Ringuette.

«L’art doit toujours servir à rien, mais cela ne veut pas dire qu’il ne sert pas. Il sert quelque chose de l’ordre de l’esprit», affirme
M. Ringuette, chargé de cours à la faculté d’art de l’Université Laval, détenteur d’une maîtrise en cartographie, psychanalyste à ses heures mais avant tout, artiste. Selon lui, aucun doute que les projets artistiques qui visent à défendre une cause (art militant, féministe…), ceux dont la réalisation finale est prévue avant même le début de la conception (architecture) ne constituent pas de l’art. L’art véritable ne doit pas poursuivre une finalité ni être conçu dans le but de porter un message ou encore de soutenir un discours. Semble-t-il que la seule et unique raison de devenir artiste est de mettre à jour l’unicité de sa personne.

Acte égoïste? M. Ringuette nous assure que non. Cette réflexion sur soi, sur la singularité de notre être est le seul apport authentique que nous soyons en mesure d’offrir au monde. «Si l’on ne se connaît pas, on ne pourra que répéter les actes des autres. Plutôt que d’apporter notre propre pierre dans l’édification du monde, on volera continuellement celle d’une autre personne, créant ainsi un risque d’effondrement.» Ce voyage intérieur, aussi personnel qu’il soit, s’en trouve ainsi muté en mission altruiste.

Cet art, puisqu’il ne contient aucun message, ne devrait pas être décortiqué. «L’art est fait pour être reçu, senti. C’est dangereux de l’analyser», soutient M. Ringuette. C’est là un point de vue qui pourrait bouleverser plus d’un syllabus! On devrait donc pouvoir se pencher sur les œuvres de Sartre, Vian et Ducharme sans avoir à en extraire, à coup de figures littéraires, des motivations que l’on invente à l’auteur? Proposition intéressante! Quand débute-t-on la prochaine réforme scolaire? Pierre Ringuette avance cependant que, dans un processus d’apprentissage, l’échange de critiques est formateur.

L’homme profite de sa tribune pour déplorer la dégradation des liens enseignant/étudiants. Il insiste sur le fait que le parcours scolaire ne devrait pas être constitué uniquement d’une transmission de savoir – qui peut très bien s’effectuer par le billet de séances de surf sur la toile – , mais bien d’échanges permettant à l’élève de savoir qui il est, «de prendre contact avec sa singularité». Il nous offre un intéressant parallèle entre la tuerie dont il est question dans le film Bowling for Columbine de Michael Moore et la désensibilisation et l’isolement qui se propagent actuellement dans le système d’éducation, et dans bien d’autres sphères de la société.

Et moi qui croyais qu’avec l’art il y avait l’espoir de modifier le cours de ce fleuve pollué qui submerge nos esprits! Je me mets vite en quête d’une autre alternative!
 

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