L’économie du rêve

Une étincelle de magie dans l’œil de l’enfant devenu adulte. Pour cause: un funambule, libéré de toute contrainte gravitationnelle, culbute, entre le toit du chapiteau et les spectateurs, sur un fil invisible pour nous faire croire, l’instant d’un spectacle, qu’il est encore possible de voler.

Depuis 1984, le Cirque du Soleil s’efforce de «toucher des gens pour leur faire oublier leurs tracas le temps d’un spectacle», comme avance Tania Orméjuste, attachée de presse principale du cirque. Elle ajoute que cette entreprise, qui compte aujourd’hui 4000 employés, s’articule autour de valeurs telles que «repousser les limites du possible, puiser l’inspiration dans les diversités artistiques et culturelles, encourager et promouvoir le potentiel de la jeunesse».

Ses artisans conçoivent, chaque année, d’époustouflants spectacles réunissant brillamment prestiges acrobatiques, clowns délirants, costumes maculés de couleurs et d’originalité, musique tribale servie en temps réel, décors farfelus et mise en scène éblouissante, le tout offert au creux de l’inégalable tente bicolore. Mme Orméjuste soutient que les équipes se surpassent chaque fois afin de créer un univers capable «d’apporter un peu de bonheur, de beauté et de rêve aux spectateurs de par le monde».

Tania Orméjuste affirme que leur «défi est de se réinventer à chaque nouveau spectacle et à chaque représentation d’un spectacle existant, soir après soir». Comment expliquer que nous, jeunes et vieux, bien portants et malades, québécois et immigrants, hommes et femmes, n’osions pas agir de façon similaire sur la scène de notre vie? Que se produirait-il si on osait refuser les carcans, si on se donnait l’autorisation de renouveler nos vues, nos actes, nos horaires? Qu’est-ce qui nous empêche de tracer notre sentier en nature plutôt que d’emprunter les autoroutes engorgées? Pourquoi ne prend-on pas le temps de vraiment parler aux gens qui nous entourent plutôt que de les considérer comme les maillons d’une chaîne de production? Pourquoi sommes-nous si effrayés à l’idée d’être nous-mêmes, dans toute notre singularité? D’où vient cette soumission aux moules prédéfinis?

En tenant compte qu’au Québec, les billets pour une représentation du Cirque du Soleil oscillent entre 38 et 250$CAN, n’est-il pas légitime de se demander à qui le rêve et la féérie sont offerts? Sans ériger une muraille de stéréotypes, est-il sensé de croire que les bienheureux qui s’offriront ce luxueux divertissement sont les économiquement prospères? Ceux qui effritent leur vie à coup de bénéfices marginaux, d’augmentations salariales, de reconnaissances monétaires, d’ascensions sociales. Si on pliait un peu moins l’échine pour amasser les deniers, si on se permettait d’ajouter un soupçon de fantaisie au quotidien, de colorer le réel, que se produirait-il? Imaginons-nous, l’instant d’une fabulation, dans un monde complètement loufoque et expérimental où nous remplacerions la course effrénée à la possession matérielle par le plaisir d’observer et d’apprécier ce qui constitue notre univers. On prendrait alors conscience qu’en fin de parcours, les deniers ne trouvent pas leur place dans la balance. On se souviendrait que le respect d’un ami vaut des millions de fois plus qu’un chèque récolté sur le corps de l’ennemi terrassé.

Souhaitons que cette crise, que l’on dit économique, nous permette de modifier le marché des valeurs.

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