Mort au théâtre

Lorsque Claude Poissant, le metteur en scène, «dans un moment de vie intense» fait la découverte du roman de Jonathan Harnois en 2006, il y trouve un tel apaisement qu’il résolut d’en tirer une œuvre théâtrale. Bien que le texte porte sur le suicide d’un adolescent et le deuil de son meilleur ami, la plume juste et métaphorique de son auteur n’en fait pas «une étude sur le suicide, mais un voyage intérieur, dramatique et très lumineux», affirme M. Poissant. Il s’est donc efforcé de recréer la même impression d’introspection dans son adaptation. Il affirme en avoir fait «un chemin “anti-punch” d’une heure quarante où les spectateurs ressentent de multiples punchs intérieurs.»

Quand Claude Poissant s’engage dans un nouveau projet, c’est qu’il y discerne «une raison de dire quelque chose». Il ne prétend pas utiliser ses œuvres pour véhiculer un message, mais plutôt «pour offrir un point de vue qui fait réfléchir, pour que les gens en retirent et qu’ils puissent s’en servir». Avec Je voudrais me déposer la tête, il offre aux spectateurs de se joindre à eux «pour le plaisir de se faire kidnapper». Il prévient le public que «ce n’est pas un spectacle dont on sort reposé.» Le même régime s’applique aux comédiens puisque le metteur en scène «ne veut jamais qu’ils soient en zone de confort. Il est essentiel qu’ils soient fébriles et qu’ils conservent un certain tremblement.»

Question de confiance
L’élaboration du projet avec les comédiens a grandement reposé sur la confiance envers leur chef d’orchestre, M. Poissant. Modeler un roman en un objet de scène sans en tirer de dialogues demande «un travail de connexion absolue avec les acteurs», selon lui. L’éclairagiste, le créateur du décor et la troupe ont dû tâter plusieurs terrains avant d’en arriver au résultat escompté. Le metteur en scène aime créer des «spectacles d’une certaine intimité et beaucoup de moments avec une variation d’intensité où le son est très important». Une adaptation toute particulière est donc nécessaire à chaque salle visitée.

Sobriété dramatique
Trois voix, trois Ludovic pour cuver la peine, le désarroi causé par le départ volontaire de leur meilleur ami, la mort précipitée de Félix. Les comédiens de Je voudrais me déposer la tête évoluent dans un décor pratiquement vide, axé sur un environnement sonore et lumineux. La scène, inclinée vers les spectateurs, suscite un intéressant sentiment de déséquilibre, de gouffre. Tendrement, le drame se pose en scène, le cataclysme se révèle. Ni le jeu des comédiens, ni la mise en scène ne vise à faire surgir le tragique de la situation. La finesse de la prose métaphorique suffit.

La jeune comédienne Sylvie de Morais-Nogueira, qui incarne Andelle, l’amoureuse de Ludovic, assure une forte présence en scène saupoudrée d’une candeur qui contrebalance habilement le cafard des trois hommes. Chantal Baril, qui effectue une brève apparition dans le rôle de la mère du défunt Félix, détonne par son talent. Elle livre un monologue vibrant de réalisme qui déclenche de nombreux sanglots dans la salle.

La plus grande force de cette réalisation théâtrale est d’offrir à un large public la délectable prose du jeune auteur. Il propose des alliages de mots uniques et puissants qui renversent et terrassent l’auditeur par leur réalisme, leur unicité et leur accessibilité. Somme toute une prestation honnête qui permet une douce et douloureuse incartade au pays du deuil.
 

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