Une écriture hors du temps

S’il fallait résumer le recueil Un cœur rouge dans la glace de Robert Lalonde, s’il fallait en quelques mots à peine en extraire la substance et dire ce qu’il en reste après l’avoir lu, il faudrait aborder la thématique d’une écriture hors du temps.

Un cœur rouge dans la glace, ce sont trois longues nouvelles – des novellas –, ou encore trois courts romans. Trois histoires assez tragiques, trois lieux, trois récits, mais un seul ton lyrique, à la frontière du mélo. Lyrique, oui, mais beau, gorgé. La même langue hors du temps traverse le recueil, une langue atemporelle qui se forge elle-même sa propre vraisemblance. Les personnages de Robert Lalonde, qu’ils s’expriment en anglais ou en français, le font selon des règles qui leur sont propres ; ils mélangent les niveaux de langage, usent de vieilles maximes surannées et réinventent les conventions du dialogue. Et ça ne ressemble à rien de connu.

«Souvent je prononce un adieu» met en scène un professeur de création littéraire hanté par deux fantômes : celui de sa femme, décédée récemment, et celui de Virginia Woolf, l’auteure de Mrs Dalloway et de Orlando – entre autres – et d’un journal, aussi, dont il sera question entre les lignes. La littérature et les questions qu’elle soulève ne sont jamais bien loin dans cette nouvelle : la réalité et la fiction s’emmêlent, les frontières se brouillent, on y réfléchit dans la trame événementielle, à demi-mots, comme s’il ne fallait pas enrager la bête. Il y est question d’un «petit roman», ainsi qualifié par le personnage parce qu’il a l’impression, dit-il, de ne plus savoir raconter une histoire.

«Un cœur rouge dans la glace» donne son titre au recueil. Peut-être à tort, parce que c’est la moins réussie des trois nouvelles. Un homme part à la recherche de son frère instable qui vient de s’enfuir de la ferme qu’ils habitent ensemble. Bien que le personnage fasse constamment référence au classique d’Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, c’est plutôt à Volkswagen Blues, de Jacques Poulin, que l’on pense en lisant cette histoire. Là où la nouvelle s’individualise, c’est dans l’insupportable de son ton lyrique, cette fois poussé à l’extrême, et dans l’intervention à la fin d’une sorte de deus ex machina, un double, un fantôme (?), auquel il est difficile d’adhérer.

Le recueil se termine avec «Traduire Alison», le plus gros morceau, le plus intense aussi. Un peu trop tragique, peut-être, mais on a envie cette fois d’excuser le mélo de l’écriture de Lalonde. Ici, l’alternance entre le récit, les dialogues, la poésie d’Alison et celle de son traducteur, l’alternance entre l’anglais et le français, parfois même dans la même phrase, tout cela donne une saveur particulière au récit, fait émerger une couche de sens supérieur, un sens davantage poétique que sémantique, si la chose se peut. «Traduire Alison» sent le varech, la mer et le sable mouillé de la côte Est étasunienne.

Un cœur rouge dans la glace ne manque pas d’unité. On a voulu lire le recueil pour la langue davantage que pour l’histoire, mais il a réussi à surprendre avec ses enchâssements inattendus, ses personnages hystériques et attachants et les lieux de passage auxquels ils s’accrochent comme d’autres s’accrochent à la vie. Il s’agit en somme d’une expérience presque poétique, à tout le moins littéraire.
 

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