Ça brasse avec Les Goules

 

Il faut expliquer quelque chose, Les Goules sont mortes depuis 5 ans lors de la Fête des morts. Le 31 décembre 2010, elles ont été ramenées à la vie le temps de passer l’an et de fermer le bar le Scanner. Samedi, le Scanner fêtait ses 15 ans de joyeuse et nécessaire existence. Un docteur Frankenstein de génie a, une fois de plus, sorti Les Goules de leur tombe. 352 personnes affirmaient sur le numérique qu’ils seraient là, 189 peut-être bien qu’oui, plus une bonne couple qui s’en foutent de Facebook et qui seront là à coup sûr, dans la salle de 100 personnes. Ça devait débuter à 9 h, j’y étais à 7 h 30. Un gentil punk au masque italien de plastique doré m’a confirmé qu’à l’entrée, il était indiqué que ça commençait à 10 h. À 9 h 09, on ne laissait plus rentrer personne; sold out. À 11 h, les Goules sont descendues des éthers du deuxième étage. Le stage faisait 7 m2 environ; c’est pas gros avec un drum et un clavier.

Avec six autres, j’étais le premier sur le bord, à cacher la vue des filles derrière moi, mon sac à dos avec du stock pour trois jours sans revenir chez moi et mon gros coat d’hiver devant moi, « à l’abri ». Salutations de Keith Kouna – la foule répond autour de 130 décibels. Un avion décolle dans le Scanner. 1ère toune. Ça bouge en arrière. Beaucoup. Je mets le pied sur la scène en bloquant mon talon de botte sur le rebord pour ne pas tomber en pleine face sur le stage. Ça se tough mais je travaille. À droite, mon amie qui s’est fait jouer dans les cheveux tout à l’heure par une souriante inconnue sur quelque délirant chimique se plante, s’étale exactement comme je ne voudrais pas que ça m’arrive. Quelqu’un la ramasse à bout de bras et la remet sur pieds. Elle doit faire 100 livres mouillée, avec ses biceps gros comme une saucisse allemande; derrière elle, cinq gars costauds et déjà suants bougent pas mal, penchent vers le son, vers l’avant, et c’est pas sa petite veste en jeans un peu punk qui lui donnera la force de résister. Moi ça va, je replace constamment mon pied avant pour contrer le mouvement de la foule.

Les Goules jouent Baleine, troisième toune du set. On est en mer. La foule a le ressac doucement violent, lent mais impossible de s’y soustraire. J’aime ma métaphore. Je la partage à mon amie. Puis, silence des musiciens. Je sais ce qui s’en vient. Le chant majestueux, grandiloquent. La foule ne bouge plus. Deux noires sur les toms tombent dans l’attente, résonnent dans un demi-soupir… et le grand chant polyphonique s’élève de lui-même, fait vibrer les bouteilles de 50 et de Boréale, l’harmonie pleine et puissante descend le long de mon squelette en un orgasme auditif, un frisson musical qui aura rarement été aussi fort, et qui remonte comme de l’air chaud. Je ferme les yeux. Plénitude dans la tempête.

4e toune. 5e. Je ne me peux plus. Ça rocke trop fort pour moi, je prends mes clics et mes claques que j’ai eu la très mauvaise idée (de néophyte) d’apporter, et les mains pleines je passe par le stage, seule issue, pour rejoindre n’importe quelle sortie, ce sera par la fenêtre fermée si je n’ai plus de choix. Je ne croyais pas à un abandon, mais à un repli stratégique… Plein d’illusions que j’étais. L’entrée en deux compartiments du bar me sert d’antichambre, alcôve épargnée par le slam et sa folie brute et vivante. Mon amie résignée et très amusée est au beau milieu de la houle. Je suis à deux mètres à droite de la scène. Ça ne veut rien dire. Les distances sont abolies, elles ne signifient strictement plus rien dans cette foule. Il y a 15 m2 entre la scène, le bar, les murs et l’escalier, 50 personnes s’y poussent de tous côtés. 0,3 m2 par personne. Suffisamment d’espace pour que les fonctions vitales continuent leur job et c’est pas mal ça. Je n’exagère rien. Un grand jack, poilu des épaules et de la nuque, luisant, sort de la foule : « De l’air ! Mon royaume pour de l’air ! », verbatim – c’est qu’avec la qualité des textes des Goules, faut s’attendre à ce qu’une bonne couple de leurs fans aient une certaine culture. Un skinhead en coat de cuir, l’air tough, sort aussi en soufflant l’air qui lui restait : le show est trop rough pour lui. Une fille et un mec font du bodysurfing en passant à deux pouces de se péter la tête sur les caisses de sons au plafond. Un gars qui ressemble à Mathieu Bock-Côté en plus jeune et en plus straight si ça se peut se fait un fun noir dans le pit. C’est le bordel et dieu que c’est bon.

Je garde ma position d’outsider pour écouter le reste du show. Les Goules sont excellentes, elles sont heureuses devant cette belle « meute de mongoles ». Et moi je suis un petit vieux dans un corps de jeune, je vais prendre le bus avant le début du deuxième set à 00 h 30. Depuis la fin de cette nuit, Les Goules sont retournées dans leurs tombeaux en attendant qu’un autre soubresaut les réveille. On les attend.

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