On ne sait pas d’abord d’où Ça vient, un bambin dans la rue à qui on a refusé un cornet de glace, un cri aigu, strident, mais aucune larme, comme c’est étrange, Christine qui ne trouve pas Ça étonnant mais qui ne peut pas comprendre, elle n’était pas .

 

Le lendemain, dans l’autobus. Une vieille dame et sa petite poussette qui refuse de rester en place, saute tellement nos routes sont fatiguées. À côté d’elle une étudiante, répugnante et salope, « Ça n’était pas comme ça de mon temps ». Elle chante, ses lèvres suivent le parcours des paroles qui se déversent dans ses oreilles. Tout son visage subit une même nervosité, le nez fréquemment gratté par des doigts sales, et ses yeux toujours en mouvement, du papier de chewing-gum par terre au plafond banal, commun, si ce n’est cette petite trappe qui laisser passer de l’air frais. Elle chante encore, commence à hurler vraiment, la vieille dame s’apprête à mettre un bon coup de parapluie sur sa caboche, ou laisser rouler sa petite poussette et hop les orteils écrasés, quel dommage, mais rien, puisque tout. Ça recommence, un cri, oui, strident, yeux exorbités qui fixent le plafond, redoutant un quelconque monstre, la vieille dame en oublie même de s’offusquer, s’éloigner d’elle, d’ici, vite. Si Christine voyait Ça.

 

Le reste est classique : des rumeurs à travers la ville, un bruit sourd comme une menace, qu’est-ce que c’est que Ça, et comment y réchappe-t-on ? Puis l’inévitable : les collègues de bureau, Bernard qui s’écroule par terre, on entend un gargouillis remonter de son ventre, ce n’est pas l’effet d’une mauvaise digestion, ou encore une crise d’épilepsie. Il faut prendre le couteau, avancer le bras, sentir la veine rebondie, les larmes couler, et le voilà le mouvement, de gauche à droite, sec. Fermer les yeux ensuite, surtout ne pas voir.

 

À Christine, le soir même : « C’était horrible », mais toujours le scepticisme sur son visage, bientôt détourné vers la télé, la présentatrice du journal évoquant un mal qui se propage bientôt sur tout le pays, puis le début d’un malaise évident, la naissance d’une bouche ouverte, déjà reléguée au rang de souvenir fugace, antenne rendue, télé éteinte par un doigt tremblant, « Tu me crois maintenant ? », elle fait doucement oui de la tête, voit, comprend.

 

Plus tard, c’est le silence dans la maison, douce mélodie, et Christine collée contre moi, un peu de sang sur les mains, mais trois fois rien. Ça arrive, Ça part du ventre, je le sens, Ça remonte tranquillement, j’ai le temps de le voir venir, de saisir à nouveau le couteau, c’est maintenant dans la gorge, c’est terrible, Ça va sortir d’une seconde à l’autre, empêcher Ça, surtout empêcher Ça, il suffit d’un coup sec de gauche à droite, et Ça ne survivra pas, non, Ça ne doit pas survivre.

Consulter le magazine