Comme un fantôme

Les portes de la chambre s’ouvrent et se ferment, des hommes et des femmes y entrent, se penchent au-dessus de moi pour faire ce qu’ils ont à faire. Je regarde dehors pendant ce temps-là, une nuit noire et opaque, un rideau d’obscurité dans lequel il n’y a rien à voir, pas même l’étincelle d’une étoile. Les hommes et femmes repartent au bout d’un moment, mais le silence est le même, leurs mouvements étaient feutrés, délicats.

Le jour se lève quelques heures plus tard, le soleil, peu à peu, envahit la chambre, se découpe sur mon corps étendu sur ce lit, remonte le long de mes jambes inertes, atteint mon torse creux et reste sur mon visage émacié pendant plusieurs minutes, tout est jaune aveuglant à ce moment-là. Le reste de la journée, j’observe le plafond qui s’effrite petit à petit, ils font un sacré boucan là-haut, à croire que ce n’est pas un lieu de paix ici.

De temps à autre, des images furtives, fugaces : un coin de route, un gros camion, un fossé, et la bagnole dedans, et moi dans la bagnole. Je m’observe du dessus, comme un fantôme qui erre à quelques pieds au-dessus du sol. Je suis laid. Défiguré. Mort, mais pas tout à fait. Inanimé. Immobile. Et me voici ici. Entre les deux moments, rien, mais rien de bien surprenant, un trou noir pas si désagréable.

Ça gueule toujours plus fort là-haut, à croire que le médecin se tape toutes les infirmières, je reconnais son râle rugueux, sa jouissance vocale. Bel endroit.

Il est venu me voir, le médecin, mais pas en pleine nuit, presque au moment où le soleil aboutissait dans mes yeux, j’avais du mal à discerner son visage, à peine ses contours. Sa voix, pas de râle rugueux cette fois-ci, semblait venir de loin, je ne comprenais pas tout, mais j’ai saisi quelques mots au passage, arrachés au silence, « Accident vasculaire cérébral », « Plancher de la cuisine », mais aussi « Signes encourageants », « Espoir de réveil », espoir de réveil, un jour je me lèverai de ce lit, je recommencerai à marcher, je prendrai du mieux, je rentrerai à la maison, et, mais non, je ne la reverrai jamais cette fichue maison, saloperie de gros camion, comme un fantôme je vous dis.

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