Critique de la soirée du vendredi du Festival folk de Québec.

De la musique caméléon

Grosse soirée de musique vendredi soir à Québec : Daniel Bélanger au Grand Théâtre, Bedouin Soundclash et Charlie Winston au Palais Montaclm, Émilie Clepper au Théâtre Petit Champlain, Plants and animals à la Chapelle du Musée de l’Amérique française et Dany Placard à L’Agitée (ces trois derniers spectacles s’inscrivant dans le festival folk). Et puis au Cercle un programme double très attendu avec Caïman Fu et Daran. C’est dans cet ordre que ces deux artistes sont montés sur scène, malgré ce qui était écrit sur le site Internet du festival et sur les billets. Remarquez, sur ceux-ci, il était bien inscrit Caïman Fou…

Le sympathique groupe mené par la comédienne et chanteuse Isabelle Blais (qui excelle dans les deux domaines) a donc monté le premier sur la scène du Cercle, pour une prestation assez courte (45 minutes à tout casser) mais quand même rock, même si ce que j’ai vu lorsque le groupe est passé au Théâtre Petit Champlain deux fois plutôt qu’une était meilleur. Question d’espace scénique peut-être…

Caïman Fu fait de la musique caméléon, le terme est de Blais elle-même : un mélange de plusieurs styles, avec quand même une bonne base de rock. Le quintet, qui a accueillit récemment dans ses rangs le claviériste Sandy Belfort, fête son dixième anniversaire, et propose dans ce spectacle bilan une rétrospective de leurs trois disques studio. On a pu donc entendre tant Joli minois du premier album que l’excellente chanson Mon cœur est une bombe sur le plus récent disque. Un spectacle trop court, assez convaincant, qui aura permis, je l’espère, à ceux qui ne connaissaient pas Caïman Fu de découvrir un groupe talentueux qui fait du pop rock avec des textes intelligents. C’est assez rare pour être souligné, et le groupe est encore trop méconnu, pas assez reconnu à sa juste valeur.

Après une longue attente due à des problèmes techniques, Daran est enfin monté sur la scène du Cercle avec le dessinateur Michel Alzéal. Pour ceux qui ne seraient pas au courant du projet actuel du chanteur français (qui a su se réinventer et qui vieillit très bien), voici un court résumé de la genèse de ce Couvert de poussière : le dessinateur français Michel Alzéal a rencontré Daran un jour avec en mains une bande dessinée presque complétée, dont le scénario était fait uniquement avec des extraits des textes des chansons du chanteur français. Celui-ci, séduit par l’idée et l’originalité de cette forme artistique, a proposé à Alzéal de faire un spectacle commun où il dessinerait live sur scène pendant que Daran revisiterait ses « succès » en solo, avec seulement une guitare acoustique. Le résultat, mélange de chanson et de bande dessinée, est très original et ingénu.

Ce excellent spectacle, en plus de se décliner sous la forme d’un livre-disque, a donc fait le tour du Québec, Daran connaissant bien la Belle Province, et deux fois Québec : mardi, au Bal du Lézard, et ce vendredi soir au Cercle. Il est fascinant d’une part d’entendre les meilleurs morceaux de Daran dans des versions dépouillées, portées par une voix encore intacte, et d’autre part de voir Alzéal dessiner merveilleusement bien, à une vitesse affolante, ce qui donne des dessins très réussis. Daran aime d’ailleurs ce genre de spectacle où le public ne regarde pas, pour une fois, le chanteur, mais bien l’élaboration des dessins sur l’un des deux écrans qui ont été aménagés au Cercle. Une bonne idée brillamment transposée sur scène.

Il faut malheureusement évoquer les difficiles conditions d’écoute de ce spectacle, et affirmer que Le Cercle n’est pas une salle de spectacle, mais un bar. Demander aux gens de se taire, même si je suis d’accord avec le fondement de cet appel, m’a semblé incongru, tant par les autres spectateurs que par Daran lui-même : Le Cercle est un bar, on y boit, on y parle fort, et certains écoutent le spectacle à moitié (et encore). C’est tout à fait normal dans ce genre d’endroit, et il faut en accepter les conséquences. Je me suis étonné moi-même en acceptant relativement facilement ces conditions difficiles pour les oublier et me concentrer sur ce spectacle très attendu et qui n’aura pas déçu, malgré cet aspect plus négatif, prévisible selon moi.

La solution est tout simple : réinviter Daran à Québec dans une vraie salle de spectacle cette fois-ci, avec le même projet. Pourquoi pas au Théâtre Petit Champlain, salle que Daran affectionne particulièrement et par laquelle il est passé plusieurs fois ? Espérons en tout cas qu’il revienne vite à Québec. Et comme on a appris récemment qu’il emménage à Montréal sous peu (si ce n’est déjà fait), « pour des raisons personnelles, professionnelles et un peu politiques », on peut être confiant, et rêver de ce jour où l’on appréciera à sa juste valeur, à 100%, ce Couvert de poussière.

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