Froid, très froid

Couverture grise, terne. Titre rugueux, inhospitalier : Sous béton. Une écriture austère, des phrases dépouillées : « J’ai fermé les yeux. Et j’ai collé l’oreille contre le sol. Sous mon corps, vibrations encore amplifiées. La compression du Béton Total s’intensifiait. » Intrigue absente, on n’assiste qu’à une routine ininterrompue – du moins, dans les cent premières pages. Se juxtaposent des suites de descriptions visuelles insipides, on nous présente un univers sans profondeur, un paysage uni de grisaille sur fond gris. On frissonne pour moins que ça.

            Le dernier roman de Karoline Georges pourrait se classer dans cette grande catégorie des fictions post-apocalyptiques. Ou enfin, post-quelque-chose. Comme dans La route, comme dans Fahrenheit 451, on comprend que le monde a évolué et en est arrivé à cette ultime agonie. Ici, l’humanité vit dans un grand édifice de Béton Total. Le narrateur, un enfant, réside au 5969ème étage. On est dans un Fermont très grand format.

            Si la froideur générale du livre semble quelque peu rebutante, elle n’en demeure pas moins nécessaire. Nécessaire au projet artistique, nécessaire pour décrire l’univers en place. C’est aride, parfois dénué d’intérêt, mais toujours parfaitement cohérent. Et dans cette cohérence se trouve toute la force du roman.

            Le narrateur n’a pas de nom. Pas d’histoire. Pas de particularité. Il est. Il narre. On imagine sans effort qu’il ressemble à tous les enfants de l’Édifice. Tous, en effet, vivent séparés dans des appartements, avec leur famille. Apprennent toute la journée grâce à un casque sur leur tête. Prennent des nutriments aux moments opportuns. Regardent un écran gris reproduisant le ciel, ou feignent de dormir, par temps libre. À ce compte, il aurait été étonnant de se faire raconter une histoire abracadabrante. Le propre de cet univers, de fait, est d’être aseptisé, sans histoire, sans individu – un individu, semble-t-il, est tous les individus à la fois. En ce sens, la froideur du roman apparaît nécessaire. Inévitable.

            Il faut quand même mentionner quelques écarts, des emprunts moins heureux à d’autres fictions d’anticipation – notamment Soleil vert et 1984. Gardons-nous d’expliciter ces références – ce roman compte peu de surprises, ménageons l’essentiel.

            Le projet, on ne peut qu’y adhérer. Complet, bien défendu par une prose grise, par une poésie de béton, il sous-tend néanmoins un hic : une sorte de lassitude point à un certain moment de la lecture. Se passera-t-il quelque chose ? Va-t-on aboutir ? Non. Ou si peu.

            Difficile de rendre l’effet de ce roman. Cette critique, froide, donne un aperçu, croyons-nous,  de son essence artistique. Son ton. Karoline Georges réussit habilement, avec Sous béton, à installer un monde avec ses règles propres et ses us et coutumes. Ce qui n’est pas, convenons-en, une moindre réussite.     

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