Aperçu du roman de la Montréalaise Perrine Leblanc, avec lequel elle a remporté le Grand prix du livre de Montréal 2010.

Habile, l’homme blanc

S’il fallait absolument décrire L’homme blanc quant à la nature de l’œuvre, ses qualités certaines et ses quelques lacunes, une caractéristique première viendrait à l’esprit: ce premier livre de Perrine Leblanc est un roman habile.

Économique, l’écriture se garde bien d’en faire trop. Elle précise certaines scènes, comme sur le bout des pieds. Les phrases passent, sans trop ébruiter leur présence. Une telle obséquiosité est néanmoins apparente et on sent ce souci de ne pas en dire trop, de passer à autre chose et de ne pas, à l’instar des comédiens du cirque, «surjouer»: «La plupart des amateurs surjouaient, et, pour un artiste professionnel, même clown au cirque, cette absence de finesse, ce jeu grossier qui relevait d’une incompréhension criminelle du texte était insupportable, une articulation qu’on tenterait de disloquer». Tout comme le protagoniste de L’homme blanc, le roman tente d’atteindre une «justesse dans la physionomie de scène». Réussi ou non, l’objectif s’inscrit dans un projet d’écriture à la cohérence aiguë.

La construction de l’œuvre, de la même manière, est l’entreprise d’un récit qui veut à tout prix éviter de sombrer dans le pathos et dans le cathartique. Le lecteur est minutieusement maintenu hors d’atteinte des personnages. On ne s’attache à rien, on passe sur le récit comme sur une route désertique avec le sentiment, cependant, de vivre l’expérience, le passage d’une contrée à une autre, d’un début à une fin. Kolia, protagoniste du roman, se trouve, à un certain moment, devant un film inspiré par sa propre vie. Or, le film, juge-t-il,  est «à la limite du mélodrame»: «La description de la hiérarchie au camp manquait de finesse, les brutes étaient des brutes, les prisonniers des imbéciles finis». On ajoute à propos du réalisateur que «[L]’Allemand appartenait à la race gluante des sentimentaux faussement cyniques. Et c’est sans doute cet étalage d’émotion chez lui qui avait gâché son film». Impossible devant ce discours de ne pas entrapercevoir, par antithèse, le projet du roman (réussi à cet égard): présenter les faits et surtout ne pas émouvoir à tout prix.

En ce sens, l’intrigue de l’œuvre repose sur d’autres fondations. Sans doute se fiche-t-on de la destinée de Kolia, de Bounine, de Pavel, de Tania, de Iossif et de la ribambelle de personnages qui vivent et meurent, indifféremment. Or, on avance avec ce sentiment de chemin tracé, la lecture s’effectue dans l’attente constante de cette chute justificatrice, ce moment dans la vie de Kolia qui expliquerait qu’on en ait fait un roman. Vient-elle? Peut-être. Parce que dans le défilement des actions (jamais ennuyantes, au demeurant), une question survient: pourquoi ce roman? L’absence de drame rend la justification difficile, mais la fin tombe et il reste ce sentiment juste d’une traversée, celle d’une condition humaine, celle du roman de Malraux écrit sur la révolution chinoise après qu’il n’ait passé que quelques jours en Chine. Comme Perrine Leblanc, Québécoise de passage dans la Russie qu’elle fait revivre.

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