Stéphanie Lanthier a réalisé son deuxième documentaire, «Les Fros», portant sur les débroussailleurs en Abitibi.

La forêt des étrangers

Stéphanie Lanthier coréalisait Deux mille fois par jour (2004) avec Myriam Pelletier-Gilbert lorsque lui vint l’idée de faire un prochain long métrage sur le travail de débroussaillage en forêt. Celles-ci évoluaient parmi les planteurs d’arbres et rien ne les empêchait de combiner les deux métiers dans leur documentaire, mais Mme Lanthier tenait à ce que ces deux pratiques de l’aménagement forestier ne soient pas mélangées. «Des fois, les planteurs et les débroussailleurs partagent les mêmes camps. Sauf qu’à l’époque, on s’est rendu compte qu’ils [les débroussailleurs] étaient pas mal plus âgés et de différentes communautés culturelles, raconte-t-elle. Ils n’ont pas la même quête identitaire.»

Interculturalisme
En 2007-2008, alors que Stéphanie poussait la scénarisation de son projet en éclosion, la Commission Bouchard-Taylor faisait rage au Québec. La médiatisation des travaux sur les différences culturelles était telle que la cinéaste saisit l’urgence qu’il y avait de parler des immigrants en forêt. «Pour nous, les Québécois francophones, c’est mythique que des immigrants s’inventent bûcherons. C’est incroyable, ça veut tout dire», constate-t-elle, persuadée que le phénomène s’avère paradoxal. «Il y a un fort message d’intégration, on se dit une société d’accueil, mais s’ils montent dans le Nord, c’est qu’on ne reconnaît pas leur diplôme», explique Stéphanie Lanthier en ajoutant que les deux côtés de la médaille sont importants à véhiculer. On comprend donc l’essence du titre du documentaire, tout comme la chanson de Richard Desjardins. Le terme «fros», provenant de la déformation du mot foreigner (étranger), désignait dans les années 30 les personnes d’origine étrangère venues travailler en Abitibi.

Un monde d’hommes
Un an avant le début du tournage, Stéphanie Lanthier partit faire du repérage dans les camps de débroussailleurs en Abitibi. Tout comme les réalisateurs de fictions, elle était à la recherche de personnages forts, capables de créer des interactions porteuses dans une approche de cinéma direct. C’est alors qu’elle dénicha trois hommes de différentes nationalités, Mamadou, Antonie et Gérard, qu’elle suivit de façon intermittente pendant les cinq mois d’une saison de débroussaillage. «Je passais beaucoup de temps avec les bûcherons. J’arrivais avec mon truck et mon chien, et je vivais dans les mêmes camps qu’eux», décrit Mme Lanthier quant à son immersion dans cet univers composé à 99% d’hommes. Difficile dans cette situation d’acquérir la pleine confiance de ces «gars de bois», mais selon la documentariste, le fait qu’elle soit elle-même fille, nièce, cousine et belle-sœur de bûcherons l’a grandement aidée à tisser des liens essentiels avec les personnages. «J’ai appris et intériorisé leur langage, parce qu’il y a un vocabulaire et des attitudes propres aux bûcherons. Je les ai connus dans mon enfance et dans mon adolescence», informe Stéphanie Lanthier, qui a su recueillir de précieuses scènes de confidences et de camaraderie. «J’y suis arrivée grâce à l’expérience d’être une fille de bois.»
 

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