La Nuit des Rois au Trident : du point de vue du spectateur –une interprétation

C’est peut-être dans Twelfth Night que Shakespeare fait retentir l’exhortation delphique du « connais-toi toi-même » avec le plus de force. Se prendre pour un autre ou encore prendre les autres pour ce qu’ils ne sont pas, voilà autant de formes d’ignorance qu’exploitent abondamment Shakespeare dans cette pièce et que Jean-Philippe Joubert, dans sa mise en scène au Théâtre du Trident, a bien su mettre en relief avec Malvolio, un personnage des plus ridicules qui parvient à nous faire rire jusqu’aux larmes.
Dans La Nuit des Rois, Malvolio est ce valet insupportable qui se juge bien digne d’épouser la riche Olivia qu’il sert. Ses adversaires, pour l’humilier, rédigent une lettre, une supposée « déclaration d’amour secret », dans laquelle ils imitent l’écriture de la dame. Ils laissent traîner la lettre et s’arrangent pour voir de loin la découverte du papier par Malvolio. Pour se cacher, pas de mur ou de buisson, ils prennent quelques uns des grands miroirs qui d’ailleurs, pour un effet de dédoublement incessant, couvrent  toute la scène.

C’est ainsi que s’y mire sans cesse Malvolio alors qu’il déclame ses mérites en lisant la lettre. Il y a plus : les moqueurs ont prescrit dans la lettre, comme « à la demande d’Olivia », le port de bas jaunes et de jarretières croisées, accoutrement que Malvolio portera fièrement pour le plaisir de tous. Qu’ils soient épris d’eux-mêmes, prétentieux ou vaniteux, les hommes de cette condition sont bien souvent ridicules et ils sont les seuls à ne pas s’en rendre compte.
Cet habile jeu de miroirs révèle par contraste que la connaissance de soi, de même que l’amour de soi, ne renvoie pas à un objet extérieur, à une image de soi ou à un reflet. L’amour de Malvolio pour lui même, tout comme celui de Narcisse, c’est l’amour pour un reflet, pour une ombre : il s’agit d’amour-propre, un amour décalé par rapport à soi, l’amour du « miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle [mais ne me dis pas que ce n’est pas moi!] ».

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