Le cri des origines

C’est l’année Wajdi Mouawad au Carrefour international de théâtre, même si La sentinelle avec Jane Birkin a été annulée. Avant Des femmes, trois pièces de Sophocle sur une musique, notamment, d’un Bertrand Cantat absent, le public de Québec avait droit à Seuls.

Cyril Schreiber

C’est le Mouawad acteur, bien qu’il soit pour cette pièce aussi auteur et metteur en scène, que l’on peut voir dans Seuls, sans aucun doute son spectacle le plus personnel, créé en mars 2008 et en tournée depuis juin de l’année dernière.

Mouawad incarne Harwan, un Libano-Québécois, qui tente de finir sa thèse de doctorat en sociologie de l’imaginaire sur l’espace comme cadre identitaire dans les solos de Robert Lepage, dont sa prochaine création, inspirée par Le retour du fils prodige de Rembrandt. Entre ce travail fastidieux de 1500 pages et des rapports conflictuels avec son père et sa sœur, Harwan est en quête d’identité, et plus particulièrement de ses origines libanaises.

Ce personnage ressemble bien sûr à Mouawad lui-même, puisque c’est en voyant La trilogie des dragons, dans ce même Trident où il joue, que le théâtre est rentré dans sa vie. Entre autofiction et introspection, Seuls est donc un monologue où Mouawad se livre comme il ne l’a jamais fait.

À l’inverse de ses grosses productions qui durent des heures et où une galaxie de personnages se rencontre, Seuls fait preuve de dépouillement, de sobriété, de silences. Il est étonnant et surprenant de voir l’auteur, qui s’avère être un excellent acteur (il fallait le rappeler), dans ce registre ; il y réussit pourtant parfaitement. Dramaturge de son temps, Wajdi Mouawad use avec brio de la technologie, en projetant sur un mur des doubles, fantômes de lui-même, symbole de sa psychologie intérieure.

Seuls semblait se diriger vers une bonne surprise globale, jusqu’à sa dernière (et longue) portion où, suite à une surprise dans l’histoire qu’il serait condamnable de raconter ici, Harwan tombe dans la folie et la perte d’identité totale. Une finale de beauté douloureuse comme seul Mouawad sait en faire, et qui porte une charge émotive rarement ressentie au théâtre.

Mais était-il nécessaire que Mouawad, pendant au moins 20 minutes, s’enduise de gouache et fasse de même avec le décor ? Le symbole est certes fort, mais peut-être trop. Mouawad retombe dans ses mauvaises vieilles habitudes sans demi-mesure, celles d’une exagération symbolique qui finit par devenir un grand n’importe quoi, et d’un dérapage dont on se lasse rapidement.

Seuls, malgré cette finale à la fois déplaisante, pénible et à quelque part somptueuse, est un incontournable pour tous les amateurs de Mouawad. Ce dernier, quoiqu’il en soit, divisera encore une fois son public, mais aura provoqué une réaction grâce au théâtre, ce qu’on ne peut pas lui reprocher.

Courtoisie : Thibaut Baron

Quoi ? Seuls (Carrefour international de théâtre)

Qui ? Texte, mise en scène et jeu : Wajdi Mouawad

Où ? Salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec

Quand ? Vendredi 8 juin

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