Originaire de Québec, la romancière Hélène Vachon a récemment publié Attraction terrestre.

L’homme comme il va

La littérature ne supporte aucune science, dès qu’on ouvre un bouquin, on plonge dans la subjectivité. N’empêche, certains éléments ne mentent pas. L’onomastique, par exemple: l’art de nommer les êtres fictifs pour leur donner identité et profondeur est une pratique ancienne et bien connue. Hélène Vachon, romancière aguerrie, plus connue pour ses œuvres jeunesse, offre, avec Attraction terrestre, un roman qui ne  saurait échapper à cette science.

Les symboles mis en place dès l’amorce semblent grossiers. Deux trames se développent en parallèle: la vie du narrateur, Hermann, et d’un pianiste atteint de Parkinson, le no 32. Roman sur l’identité, songe-t-on (rappelons que Hermann, au sens littéral, signifie «Monsieur l’Homme» et que nommer un personnage par un numéro parle beaucoup de son indétermination identitaire).

D’ailleurs, parmi toutes les quêtes du livre (elles sont nombreuses, alambiquées, sinueuses, abandonnées, reprises), l’une consiste à réécrire l’autobiographie perdue d’un vieillard dont personne ne sait rien, sinon, «qu’il avait une façon bien à lui de s’introduire chez les gens», avec le double sens libidineux qu’on peut y trouver. Ainsi, le début du livre laisse songeur. Les symboles criards agacent le lecteur avide d’un peu de subtilité, d’un brin de finesse. On ne saurait que reprocher la mécanique du commencement; le narrateur présente sa vie, son train-train, il nous prend par la main pour entrer dans le roman et le lecteur prude s’hérisse de ce geste direct, sans préliminaire ni fantaisie. Bien sûr, le tout est effectué avec une maîtrise savante de l’écriture, laquelle alterne joyau de phrase (la description d’un cadavre: «Presque aussi haut que large, un abdomen surmonté d’une tête ronde, petite sphère déposée directement sur une plus grosse, comme si on avait oublié le trait d’union») et phrase banale. Cela confère au style de l’œuvre un équilibre entre légèreté et  virtuosité, du «beau-mais-pas-trop» qui se garde bien de cacher l’intrigue. Et les dialogues, tour à tour littéraires et réalistes («Cette façon de vous exprimer, qu’est-ce que c’est, exactement? [Réponse:] Une tentative infructueuse pour embrasser le monde dans sa totalité») apparaissent d’un humour, d’une justesse vertigineuse.

On peut mesurer la force attractive du livre sur son lecteur par les éclats de rire soudains qui nous prennent devant le touchant questionnement humaniste. La construction du roman se joue de nous tranquillement, charriant  le douceâtre plaisir de s’être fait avoir, mené un peu en bateau pour un voyage valant la peine.

Hermann cherche, à un moment, son chat Théo (du grec Theós qui signifie Dieu). Encore une fois, elle peut sembler grossière cette volonté de montrer absolument la quête, la perdition de l’homme en mal de repères. Peut-être. Mais le lecteur est alors déjà conquis, installé au cœur des questions sur l’être humain, l’art humain, l’être tout court. Aux forts accents de L’Histoire de l’amour de Nicole Krauss ou de Clair de femme de Romain Gary, ce roman d’Hélène Vachon exprime la juste simplicité de l’homme.       

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