« Je suis un et je suis mille. »Voilà comment s’ouvre La porte du ciel, dernier roman de Dominique Fortier. Cette voix, qui happe le lecteur et le guide à travers le récit, c’est celle du Roi Coton, entité omnisciente au rôle plus didactique que narratif, qui survole les États-Unis de la guerre de Sécession pour en brosser un portrait historique, politique et social. Contrat titanesque, s’il en est un, que celui de raconter une histoire dans l’Histoire. Mais Dominique Fortier en a vu d’autres.

L'Unique

La porte du cielest une courtepointe. Le constat est déjà en voie de devenir un cliché, tellement il tombe sous le sens : il s’agit d’une œuvre rapiécée, d’un texte de la pluralité.

Pluralité des points de vue, tout d’abord, puisque le Roi Cotonsert à offrir au lecteur une vue d’ensemble qui lui permet de plonger au plus près des différents personnages dont on exploitera la focalisation.

Pluralité des horizons, également. Eleanor, un des personnages principaux, est issue du milieu aisé qui vit du profit des plantations de coton, alors que sa dame de compagnie, Ève, vient de l’autre côté de la barrière, du monde des ouvriers qui s’affairent au champ toute la journée.

Pluralité des trames narratives, finalement. Le roman s’attarde tour à tour à la vie de cette jeune Eleanor et de sa compagne Ève, mais aussi à celle de June, cette mère désœuvrée, dépossédée de ses enfants, à celle du père Louis, un prêtre qui voulait construire une église au milieu des marécages, et à d’autres.

Il faut souligner que, malgré la multitude d’avenues qu’emprunte La porte du ciel, ce  roman reste simple dans sa complexité, solide, savamment échafaudé ; le lecteur ne s’y perd jamais.

Mais de cette force naît aussi une faiblesse : quel est le point focal du texte? De quoi se souvient-on après en avoir terminé la lecture? Qu’est-ce qui le rend spécial, unique? Pas son intrigue, qui erre à gauche, à droite, d’un personnage à l’autre, passant de plans très larges à très rapprochés sans créer de montée ou de chute dramatique – ce qui ne constitue pas toujours un défaut. Pas ses personnages non plus ; ils n’ont rien de forcé, ils convainquent le lecteur sans peine, mais aucun trait particulier ne les rend vraiment mémorables. Et pas son écriture. Dominique Fortier raconte avec beaucoup d’élégance, de finesse, d’intelligence. Mais dans La porte du ciel, il est difficile de mettre le doigt sur un ton, sur ce que d’aucuns appelleraient une vision du monde. Le langage sert admirablement bien l’histoire, et les descriptions sont travaillées comme des ouvrages de broderie. Tout cela est  fort joli, mais il en ressort un cruel manque de naturel, d’humanité, d’oxygène. Et si le Roi Lecteur, après ce beau mais long voyage, pouvait choisir de conclure le roman comme il le voulait, il y a fort à parier qu’il écrirait : « Je suis mille, mais je ne suis pas l’Unique. »

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