On va tuer Smokey Nelson

À plus forte raison, on pourrait croire que le roman se penche sur la mort elle-même, comme dénouement inéluctable. On peut aussi penser que le portrait social d’une Amérique au bord du gouffre – un gouffre moral, économique, politique et autres valeurs transformées en abîmes – est le véritable sujet de Mavrikakis dans cette aventure romanesque. Et s’il ne s’agissait que d’une exploration des différentes facettes de l’identité américaine – car, oui, en effet, le roman narre trois histoires distinctes, celle de Sydney, l’afro-américain, de Pearl, l’hawaïenne, et de Ray, le blanc issu de la pure tradition redneck.

Il serait de bon ton d’affirmer ici que le roman sait faire la symbiose de toutes ces richesses, de telle sorte, en fait,  que le lourd sujet social abordé s’en trouve comme transformé, esthétisé, mis au pas de la fiction et de l’art. On verrait ainsi cette délicate question de la peine de mort nimbée d’une neuve atmosphère. Mais non.

Le dernier roman de Mavrikakis tente bien de donner vie à des personnages : Sydney, Pearl, Ray, ils ont leurs petites existences, leurs grands drames et leurs profondes douleurs, on nous les montre, on nous les met en place, c’est vrai. Mais à plus forte raison, on nous les assène : Sydney est l’afro-américain, porté par la question afro-américaine, marqué par l’identité afro-américaine, afro-américain et rien que ça; Ray, plus radicalement, baigne dans l’orthodoxie religieuse, il porte parfois le costume des confédérés et il vote, bien sûr, républicain. Point de nuance, on trace en gros traits les fils de leur vie de telle sorte, en fait, que survient à la lecture cette impression, parfois, de découvrir un argumentaire davantage qu’une histoire. La vraisemblance de l’œuvre s’en trouve dangereusement entamée.

Néanmoins, il faut mentionner positivement les incursions dans la vie de Pearl, l’une des trois faces de ce récit tricéphale. Marquée par le crime de Smokey Nelson, hantée, pour dire vrai, par ce massacre duquel elle échappa de peu, elle apparaît, dans ce roman, pourvue d’une certaine authenticité : Pearl est crédible. Ses craintes, ses silences, son absence d’ambition, son apathie même contrastent avec la minceur de ses comparses, ces sortes d’hommes de papier ou d’arguments narratifs.
 

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