Petite Chloé deviendra grande

On termine À deux pas de chez elle avec le fâcheux sentiment d’avoir lu un Ikea littéraire, c'est-à-dire un roman fait à la chaîne et dont l’unique fonction est de divertir. Mais au-delà du livre confortable que l’on lit emmitouflé dans une couverture brune avec un chocolat chaud dans la main, le petit roman policier de François Gravel n’a rien d’étonnant : une ravissante-fille-pleine-de-qualités disparait en 1976, on apprend trente-trois ans plus tard que c’est un meurtre, un vieux sergent-détective confie le travail à Chloé Perreault – fraîchement sortie de l’Institut Nicolet -, elle interroge quelques personnes, quelques squelettes sortent du placard, le crime est résolu, tout le monde est content et la petite nouvelle a un vilain rapport à remplir, car elle doit « se comporter comme une policière, et faire ce pour quoi [elle a] été formée ».

Si la mise en intrigue et la résolution d’enquête sont l’apanage des polars, le genre policier est heureusement beaucoup plus exigeant, et c’est là que le bât blesse dans le dernier roman de François Gravel. À deux pas de chez elle n’a pas les reins assez solides pour supporter une intrigue policière et ne fait que nous propulser, à travers anecdotes et humour, vers un dénouement prévisible – l’histoire d’amour est la clé de plusieurs mystères, affirme avec sagesse le vieux sergent. Cela est accentué par une écriture et un récit peu ou pas adapté à un lectorat adulte, ce qui en fait un roman au penchant enfantin et naïf, avec des personnages incomplets, souvent réduits à une ou deux caractéristiques. La protagoniste elle-même, Chloé, représente l’héroïne typique, donc dénuée de défauts – comme tous les personnages, d’ailleurs – sinon celui d’avoir une personnalité facile : tenace, intelligente, sportive, accro à l’eau Perrier, bref, tout ce qu’il faut pour faire avancer une enquête criminelle…

Ce petit côté jeunesse se fait également sentir dans certaines références un peu trop usées – de la tragédie grecque à Roméo et Juliette – et dans le fameux clivage entre les générations, malheureusement développé qu’en surface. Et par moments, l’auteur surgit de nulle part pour nous annoncer que la société actuelle est malade : «  l’exécrable boulevard Paquin » est exécrable parce qu’il contient des « horreurs urbanistiques » comme les méchants concessionnaires automobiles et les malicieux fast foods…

Au final, on impute au roman une mécanique simple, malheureusement truffée de clichés et un récit condamné à simplement nous divertir. Ce petit Ikea en dit trop et ne saurait, au final, satisfaire un lecteur amateur de romans policiers.

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