Réussir l’échec

Vous vous dites: «Merde, encore un livre de croissance personnelle». Vous ouvrez la première page, vous prenez votre temps parce que vous avez vraiment mieux à faire à ce moment-là, comme terminer les cinquante pages du chapitre six des Relations internationales depuis 1945 de Vaïsse). Seulement, dans ce livre, on vous parle. C’est un «vous» intimidant, provocateur, qui vous oblige dès la première ligne à prendre parti. Vous êtes le narrateur, vous êtes Nicolas Langelier. Du coup, vous savourez quelques tournures de phrases audacieuses. Le côté humoristique des graphiques, tableaux et exercices se suivent d’une page à l’autre. On vous questionne sur vos habitudes, sur la fréquence à laquelle vous allez sur votre réseau social préféré. On vous confronte à ce que vous soupçonniez déjà à propos de cette modernité, à l'indicible angoisse de devoir « réussir » à trouver le bonheur, votre bonheur.

Dans son nouveau livre, Nicolas Langelier, auteur et journaliste indépendant, s’amuse. Il vous prend la main pour vous conduire vers une vision sinistre de ce qu’il nomme l’hypermodernité. Pour expliquer ce mot, il s’accorde pour dire que nous vivons dans une époque où tout est en accéléré: de la consommation au narcissisme en passant par l’individualisme, tout est en «hyper». L’auteur se propose d’être un électrochoc dans votre quotidien. En effet, en lisant les 200 pages au cours desquelles vous (c’est-à-dire le narrateur) apprenez la mort de votre père et décidez de vous prendre en main pour sauver votre vie, vous sombrerez de plus en plus dans ce constat dur et sombre que l’auteur fait de notre génération et de son époque. Chaque facette de votre vie est analysée par l’auteur: vos soirées avec vos nombreux amis («Alors pourquoi vous sentez-vous si seul?», demande l’auteur), votre relation avec la FDVV (Fille De Votre Vie), votre E-réputation (le temps que vous passez sur Facebook à «gérer» votre image), vos vêtements griffés, vos tous nouveaux meubles ou votre culture («Vous êtes une culture qui fait du vide avec du vieux»).

Pour expliquer ce dernier propos, Nicolas Langelier a dit à IMPACT CAMPUS: «Notre génération n’a pas inventé grand chose en terme de formes artistiques. Depuis dix ans, on a surtout recyclé.» Qu’en est-il de son livre? Il ressort surtout une impression de nouveauté quant à la structure littéraire, un désir qu’a confirmé l’auteur en entrevue. Il est néanmoins assez sombre et propose peu de pistes réelles pour survivre au constat qu’il amène. On ressent la crise existentielle de son auteur, l’homme trentenaire qu’est devenu Nicolas Langelier. Celui-ci livre à une thérapie publique dont le but avoué et sincère est de sauver ce qui reste de sa vie. C’est, en somme, une douche froide pour réveiller votre conscient longtemps endormi par le grand mensonge de la modernité, soit le fait que vous êtes spéciaux.

Si jamais vous survivez à la mi-session, vous pourrez lire:
Le Grand Quoi: Autobiographie de Valentino Achak Deng, Dave Eggers (proposition de l’auteur Nicolas Langelier)
99 francs (devenu 14.99 euros), Frédéric Beigbeder
American Psycho, Bret Easton Ellis

 

Entrevue avec Nicolas Langelier

Question: D’abord, qu’est-ce que l’«hypermodernité» pour vous?

Réponse: C’est un concept qui représente très bien notre époque. Il vient de philosophes qui se sont dit que nous parlons de modernité depuis les années 40, mais est-ce que c’est vraiment cela que nous vivons? Sommes-nous vraiment dans une époque post-moderne? Parce que «post-moderne» impliquerait que nous serions sorti de la modernité et dans ce cas, nous serions dans quoi présentement? Je suis d’accord avec la conclusion à laquelle ces penseurs en sont arrivés, soit qu’au contraire, nous ne sommes pas sortis de la modernité. Selon eux, nous sommes dans une accélération de choses qui l’ont caractérisée. Nous sommes dans une amplification de l’individualisme, du recours à la technologie ou du fondement sur la démocratie. Ainsi, on vit de «l’hyperindividualisme», de «l’hypernarcissisme», de «l’hyperconsommation». Cette vision est, à mon sens, assez juste pour décrire notre époque.

Q: À ce propos, tout au long de la lecture de votre livre, nous découvrons une modernité où la vitesse est le symbole suprême de la réussite. Le mot «réussite» revient plusieurs fois dans le livre et même dans le titre. Pourtant, l’impression qui demeure, c’est l’échec. Pensez-vous avoir «échoué votre réussite», celle qu’on vous avait promise avec la modernité?

R: Il faut se rendre à l’évidence que nous avons vécu un échec collectif et individuel. Quand on pense, par exemple, aux grands rêves des premiers modernes au début des années 1900 et leur vision d’un monde meilleur, nous constatons malheureusement que ce n’est pas le cas. On ne vit pas dans un monde où les guerres ont disparu. Au contraire, elles sont plus sauvages que jamais. On vit dans un monde où il y a encore beaucoup de malheur et même quand on compare les études sur le bonheur entre les années 50 et aujourd’hui, il ressort que nous sommes bien plus malheureux maintenant. Il y a de plus en plus de dépressions, de burn-out, de suicides. Et là, on ne parle pas de tous les dommages faits à la planète. Tout ceci nous a conduit à une impasse. De toute évidence, il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné. À mon sens, le nier serait se mettre la tête dans le sable. Je n’avais pas envie de faire ça. J’avais le désir de faire un constat très dur et assez sombre, mais en même temps, présenter des pistes de solution pour en sortir.

Q: Journaliste, fondateur d’une revue huppée, président de l’Association des journalistes indépendants, écrivain et blogueur: au fond, qui est Nicolas Langelier?

R: J’espère que je suis au-delà de tout cela. Je suis un mélange de tout ça. En fait, une seule de ces étiquettes serait assez réductrice. Je suis d’abord et avant tout un citoyen, quelqu’un qui a à coeur l’amélioration de sa société et des gens autour de nous et qui le fait à partir d’outils à sa disposition. Pour moi, c’est l’écriture.

Q: Quand vous dites «Vous êtes seul», devrait-on comprendre «Je suis seul»? Avez-vous un remède à cette solitude névrotique qui est le lot de notre génération?

R: En fait, une bonne piste de solution est de sortir du «je» qui a caractérisé beaucoup la modernité par l’individualisme et le désir de mettre notre bonheur personnel en premier lieu. De sortir de ça et d’aller vers le  «nous» collectif, de retrouver ce sens de la communauté que nous avons perdu en Occident. Je pense que la plupart des problèmes actuels sont causés par un surplus individualiste, autant les problèmes psychologiques des gens que les problèmes de la planète. Par rapport au «vous», il est tellement caractérisé dans le livre qu’on fait le lien que c’est l’auteur qui parle.

Q: Que pensez-vous de la référence par rapport à la littérature psycho-pop qu’on fait avec Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie? Comment considérez-vous votre livre?

R: Effectivement, dans la forme, le livre se rapproche beaucoup de ce genre littéraire. Mais dans le propos, c’est ironique. C’est une parodie de ce phénomène. D’ailleurs, je le trouve assez intéressant, parfois déprimant, et il y a du meilleur comme du pire. C’était un jeu de ma part de me servir des codes et des formules de la psycho-pop pour narrer une histoire. Néanmoins, il y avait un propos en ce sens là: je voulais parler de notre obsession du bonheur, des recettes pour être heureux qu’offre la psycho-pop. Je voulais parodier ça et le remettre en question.

Q: Dans votre livre, vous écrivez: «Vous êtes une culture qui fait du vide avec du vieux». Que pensez-vous de la scène littéraire? Est-ce qu’elle fait effectivement du vide avec du vieux? En faites-vous?

R: Ce que je voulais dire avec cette phrase, c’est que notre génération n’a pas inventé grand chose en terme de formes artistiques. Si on regarde la musique, par exemple, on se rend compte qu’il n’y a pas de style musical qui serait né avec l’an 2000. Depuis dix ans, on a surtout recyclé. En littérature, c’est un peu la même chose. Pour ce qui est de mon apport à ce phénomène: quelque chose que j’ai essayé de faire avec ce livre et que je pense que c’est avenue possible pour la littérature, c’est le mélange entre la fiction et la réalité. Comment, aussi, on peut faire des livres qui ressemblent un peu plus à notre consommation culturelle? J’avais envie de jouer avec ça. Je ne dis pas qu’il n’y a rien de révolutionnaire dans mon livre. Néanmoins, il y a un travail pour trouver une nouvelle façon de raconter une histoire. J’aurais pu écrire dans un style un peu plus romanesque avec de nombreux personnages à la Émile Zola, mais mon défi était d’explorer de nouvelles possibilités.

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