Il y a quelque chose d’indéniablement risqué et de potentiellement racoleur à tenter de raconter ce qu’ont pu vivre les quelque milliers d’humains qui se sont retrouvés coi

Tout ce qui monte

Il y a quelque chose d’indéniablement risqué et de potentiellement racoleur à tenter de raconter ce qu’ont pu vivre les quelque milliers d’humains qui se sont retrouvés coincés dans le World Trade Center, le matin du 11 septembre 2001. Et le danger, sans aucun doute, se concrétise si l’auteur prend le parti de l’apitoiement, du patriotisme ou de la pitié. Annie Dulong, dans son romanOnze, contourne le cratère en gardant les yeux rivés – avec rigueur – sur l’humain. Pas sur la victime, pas sur le témoin, simplement sur l’humain.

Que n’a-t-on pas encore dit à propos du 11 septembre ? Que reste-t-il à raconter ? Tout, peut-être. Ou rien. Ou l’essentiel. Que Marik regrette d’avoir abandonné Mabel au soixantième étage pour sauver sa vie. Que Leah prévoyait en finir avec la sienne le soir même, et que les attentats ont chamboulé ses plans. Qu’Alex trouve que son père a eu ce qu’il méritait, quand un bloc de béton l’a écrasé, au pied de l’immeuble. Le roman d’Annie Dulong met en lumière des existences bouleversées ou interrompues par ce mardi matin à New York. Ce qui rassemble, ce qui unit ces personnages, c’est qu’au moment où leur vie est menacée, ce qui les habite et les préoccupe n’a rien à voir avec la situation tragique dans laquelle ils se démènent. Certes, le texte présente une structure symbolique remarquable – deux parties, chacune divisée en onze chapitres à escalader puis à redescendre, créant un effet de verticalité au service du propos. Mais l’essentiel, et il s’agit de la plus grande qualité de Onze, se retrouve dans la volonté de construire des personnages, et pas seulement de chatouiller des pions pris au piège dans un château de cartes.

Le texte ne peine donc pas à convaincre, mais il présente néanmoins une faiblesse : alors que la première partie du roman suit divers personnages au moment où ils vivent les attentats, la seconde s’attarde sur l’après, c’est-à-dire sur l’entourage, et sur les survivants du 11 septembre. Une telle approche peut présenter un certain intérêt, mais dans Onze, elle ramollit plutôt le ton par son conventionnalisme. Si ce segment semble donc tirer le roman vers le bas, l’exercice demeure toutefois cohérent dans son ensemble, et, qui sait, peut-être vaut-il réellement mieux, dans un texte de cette intensité, ne pas rester trop longtemps en haut.

Annie Dulong
Onze
Les Éditions de L’Hexagone

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