L’allumeuse de Suzanne Myre: un éveil à la compassion

Dans L’allumeuse, sixième recueil de nouvelles de Suzanne Myre, l’auteure taille avec une ironie teintée de noirceur des courtes histoires virulentes ayant lieu dans un Montréal-Nord atemporel gorgé de violence, de négligences et de nombreuses difficultés.

Un assemblage de profils psychologiques accablés

Douze récits, presque tous écrits à la première personne, servent de support à des témoignages suffocants par leur capacité d’immersion dans la réalité crue qu’ils dépeignent. Montréal-Nord est l’univers accidenté, comme abandonné à lui-même, dans lesquels ces histoires se déroulent. Dans chacune des nouvelles du recueil, Suzanne Myre dévoile des profils psychologiques dénichés de ce quartier complice et opprimant, en prêtant ses mots aux habitants pour déceler des expériences d’une violence incommodante, vraisemblablement objets de tous les jours, dotés d’une banalité grivoise par effet de la dureté du quartier.

L’enfance prend une part prédominante comme terrain de jeu de l’auteure qui interprète avec ironie les pensées égarées des jeunes nord-montréalais soumis aux dysfonctionnements de la société qui les entoure. Des réalités traumatisantes s’enlacent, comme par exemple lorsqu’Annabelle, 12 ans, est invitée à découvrir l’intimité des corps par le bedeau de l’église Saint-Vincent-Marie-Strombi en une série d’attouchements illicites derrière les fins murs d’un confessionnal. Ou encore, lorsqu’un tourment psychologique envers un autre personnage prend de l’ampleur, constamment ridiculisée en classe dû à son incapacité à rouler les r lorsqu’elle parle en anglais. Et ainsi de suite, chaque nouvelle introduit une situation difficile et retrace de façon extrêmement audacieuse les transformations psychologiques naissant de sentiments réprimés. Ces transformations expriment des névroses, des comportements révoltés assujettis à des pulsions troublantes.

Quelques temps plus tard, désillusionnée par l’absence du bedeau lors de l’une de leur rencontre hebdomadaire, Annabelle essaiera de mettre le feu à la paroisse de la rue de Castille. Elle deviendra ensuite une légende du quartier et un phénomène silencieux de la Polyvalente Calixa-Lavallée. Et pourtant, ce ne sera que la première démonstration de sa soif brulante de vengeance…

Un réalisme abouti par l’expression d’une sensibilité remarquable

Dans Les mégots du directeur, une des lectures les plus envoutantes de cette série de nouvelles, l’authenticité de la pensée du personnage principal est considérable. M. Lefebvre est un professeur idéaliste fraîchement arrivé à la Polyvalente Calixa-Lavallée. Il appréhende l’attitude de ses nouveaux élèves, des fous furieux indomptables tels que présentés par le directeur de l’école, qui prend aussi un soin admirable à lui rendre la vie misérable. Tout au long du récit, M. Lefebvre développe une psychose attachée à la présence malsaine de ce directeur, M. Valmont, qui s’invite à son bureau le cigare à la bouche et puant le tabac pour l’envahir de sa puanteur jusqu’au dégoût. Cette psychose passagère prend une panoplie de formes, qui le fond régresser jusqu’à plonger dans les souvenirs de son père, mort à cause de la boucane, et développer une obsession malsaine envers les cigares et ce M. Valmont, une sorte d’incarnation du diable. Cette relation haineuse prendra un tournant vers la fin du récit, qui apparaîtra comme une démonstration d’humanisme éclairé et authentique, après une dégoulinade de frustrations enfiévrées.

L’allumeuse est une compilation de récits rapides et éclatés, une introduction dans les pensées de personnages marginalisées, une fresque intime de Montréal-Nord, une lecture qui éveille la compassion à l’égard des victimes silencieuses de notre société.

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