Une fin d’année au Grand Théâtre

Pour un soir seulement

C’est le samedi 17 décembre que le Grand Théâtre de Québec a fêté officiellement ses 40 ans, avec un magnifique spectacle qui s’est inscrit dans la lignée des soirées mémorables en ces lieux. De la chanson à l’humour en passant par la danse, Les 40 ans du Grand !, signé Martin Genest et Louis Tremblay (mise en scène) ainsi que Michel Côté (direction artistique), a laissé toute la place aux artistes : pas de maître de cérémonie ou d’animateur, peu de discours avant la représentation…

Un « péril jeune » était visible : bon nombre d’artistes présents ont marqué la scène musicale québécoise au cours des dernières années seulement. Preuve que le Grand Théâtre est aussi tourné vers l’avenir. Ce sont les Pierre Lapointe, Yann Perreau, Ariane Moffatt, Catherine Major ou Damien Robitaille qui font la musique d’aujourd’hui et de demain. Les grands absents n’ont pas été non plus oubliés : sous forme de clins d’œil, les Vigneault, Leclerc, Léveillée et Faulkner ont été commémorés.

On ne pourra reprocher aux artisans du spectacle d’avoir manqué d’éclectisme : du rock identitaire de Robert Charlebois à l’electro de Plaster (qui officiait comme house band), en passant par la musique festive de Marco Calliari, le piano classique d’Alexandre Tharaud,  les couleurs autochtones d’Elisapie Isaac ou la pop anglophone et planante de Patrick Watson, tous les styles étaient représentés, dans un mélange étonnamment équilibré et réjouissant. Le public, au départ figé et silencieux, s’est peu à peu manifesté, mettant un peu d’ambiance à une soirée divertissante et rodée au quart de tour.

Parmi les moments forts, notons Le chœur des esclaves, extrait de Nabucco de Verdi, chanté par un Chœur de l’Opéra de Québec qui s’était infiltré dans le public pour un effet de surprise réussi, ainsi que le duo Pierre Lapointe et Alexandre Tharaud sur « Les vertiges d’en haut » du premier, aussi chanté au milieu de la foule.

En ce qui concerne les moments plus faibles, notons André-Philippe Gagnon, qui a peiné, tant avec ses imitations parfois peu ressemblantes qu’avec ses textes plus ou moins drôles. La finale a par ailleurs fait un brin broche-à-foin, malgré la surprise de voir débarquer sur scène l’unique Armand Vaillancourt sur un cheval, clin d’œil au spectacle d’ouverture du GTQ. La perfection n’est pas de ce monde, mais ces petits écarts n’ont heureusement en rien gâché la fête. Un anniversaire à la hauteur des attentes et tout à fait réussi.

Le retour des Cowboys

Ce sont déguisés que les six Cowboys Fringants – les quatre membres originaux ainsi qu’un batteur remplaçant et le guitariste Daniel Lacoste, qui rajoutait une certaine profondeur – sont montés sur la scène Louis-Fréchette du Grand Théâtre le vendredi 30 décembre, pour leur traditionnel spectacle de fin d’année à Québec. Dès le départ, le ton était donné : la fête allait être à l’honneur, notamment grâce aux chansons festives du nouvel album, Que du vent, écrites justement pour la scène. Malheureusement, à quelques exceptions près, ces nouvelles chansons n’en sont pas meilleures sous cette forme, certains textes laissant parfois à désirer – quand on réussissait à les entendre.

Ce retour des Cowboys Fringants première époque n’est peut-être pas la meilleure chose qui soit arrivée au groupe, mais qu’importe : le public, varié mais majoritairement adolescent, a suivi aveuglément la formation québécoise, qui a offert un spectacle certes généreux, mais ô combien broche-à-foin, où parfois la musique passait troisième derrière des pirouettes physiques et des improvisations parfois maladroites – reconnaissons tout de même aux Cowboys, pour qui la scène est un véritable terrain de jeu, un talent pour ces dernières, ressortant sans le prévoir des vieilles chansons.

Dans ce rythme effréné de décibels, les quelques ballades de la troupe menée par Karl Tremblay ont fait du bien : « Toune d’automne », « Mon chum Rémi », « Tant qu’on aura de l’amour » ou l’incontournable « Les étoiles filantes » resteront, dans la mémoire du Grand Théâtre, comme de beaux moments de communion, de chant et de chaleur humaine. Le reste, majoritaire, composé notamment d’une apologie à l’alcoolisme, est parfois discutable, même si l’efficacité était assurément au rendez-vous. Les Cowboys Fringants, qui ont joués devant une salle pleine, sont quoiqu’il en soit de retour en force.

La relève pour la nouvelle année

Le pari était inusité, un peu fou et risqué : programmer, le soir du Jour de l’An, un spectacle de la relève musicale de Québec, alors que tant d’autres lieux, la proche Grande-Allée en premier, proposait des fêtes autrement plus attrayantes pour le grand public. Malgré tout, le défi fut relevé de main de maître par les Disques Nomade et le Grand Théâtre, puisque le public a répondu présent à cette invitation à faire partie de la famille, remplissant la salle Octave-Crémazie à un niveau respectable compte tenu des circonstances.

Mise en scène par Josué Beaucage, cette soirée proposait donc de (re)découvrir trois univers différents mais complémentaires : ceux de Tire le coyote, Isabeau et les chercheurs d’or et Who are you. Chaque groupe y a été de son quart d’heure de gloire, revenant deux fois chacun, ce qui a permis véritablement de se plonger dans l’univers (respectivement) folk moderne de Benoit Pinette, country enjoué d’Isabeau Valois et pop/rock planant de Beaucage. C’est justement parce que ces trois groupes ont leurs caractéristiques propres que les transitions ont parfois été laborieuses, malgré les projections visuelles composées de photos de jeunesse des artistes présents.

En invités-surprises, William Sévigny et Sylvia Beaudry, dont les deux albums paraîtront dans le courant de l’année sur l’étiquette Nomade, ont égayé l’entracte dans le foyer de la salle. N’oublions pas non plus le fraîchement signé Éric Goulet, dont les chansons de l’album country Volume 1 se sont parfaitement bien intégrées.

Les chansons collectives et les reprises surprenantes entre les trois têtes d’affiches furent les moments les plus marquants de ce spectacle fort sympathique qui a prouvé que la relève musicale se porte bien à Québec, foi de notre cher maire, présent via une capsule vidéo. Ainsi, Isabeau et les chercheurs d’or ont repris « The plant means now » de Who are you, qui a repris « Septembre » de ceux-ci, tout en étant à leur tour repris par Tire le coyote avec « Glisser »… Émulation certaine, complémentarité, et surtout plaisir pour le spectateur de voir autant de talent brut. Les Disques Nomade, l’année 2011 et ce spectacle comme point d’orgue le prouvent, sont en voie de devenir un réservoir important et sans fin pour la nouvelle musique au Québec.

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