Justin, le passé et le mérite

Justin Trudeau ne mérite pas d’être premier ministre du Canada – et ça n’a aucune importance. Bien sûr, il est agréable de penser que le travail et le vécu mènent aux plus hautes fonctions. Pourtant, la vie n’est pas toujours cohérente : ce ne sont pas toujours aux meilleurs que doivent revenir les meilleurs postes.

La figure est bien connue en fiction : un jeune garçon survit au Grand-Méchant-Sorcier-Au-Nom-Tabou, tire une épée d’une roche ou est malencontreusement mordu par une araignée radioactive. De là, notre héros doit composer avec un destin ou des circonstances injustes, qui l’obligeront à faire valoir ses qualités intérieures, souvent mésestimées derrière la cicatrice frontale ou le spandex à motif arachnéen. Bien mieux que n’y arrivent des boursicoteurs biaisés par le rendement passé de leurs actions ou des dirigeants d’équipes sportives qui accordent des contrats de long terme à des vedettes à la veille de leur déclin, les auteurs de ces contes semblent comprendre que le passé n’a pas à être garant de l’avenir.

La même absence de logique apparaît devoir s’appliquer au cas de Justin Trudeau. Après tout, seul le plus borné des partisans du Parti libéral pourra dire qu’à la seule vue de sa feuille de route, ce professeur de français, administrateur de Katimavik et député sans expérience ministérielle méritait de vaincre Stephen Harper ou Thomas Mulcair. De même, il fait bien piètre figure face à ses prédécesseurs à la tête du PLC, les intellectuels Stéphane Dion et Michael Ignatieff. Il paraît improbable que sans l’aide de la « marque Trudeau », Justin Trudel ou Justin Tremblay aient pu se hisser à de tels sommets avec le même bagage.

Pourtant – et c’est bien injuste ! —, il est également plausible que la valeur du travail d’un premier ministre soit mal prédite par ses expériences passées et repose sur des qualités particulières au poste. D’emblée, on comprendra facilement qu’un homme charismatique comme M. Trudeau réussisse à inspirer ses électeurs, une force indéniable dans notre système. Qui plus est, peut-être qu’une capacité à recentrer experts et conseillers sur certaines valeurs fondamentales est ce qu’on peut s’attendre de mieux d’un premier ministre aux prises avec un flot d’information continu – capacité que doit posséder un homme qui défend le lègue de son père, depuis toujours partie prenante de son identité.

« Rien n’arrive pour rien » est l’illusion que génère un esprit en quête de sens. Parfois, les choses ne sont pas « comme elles se doivent » et la justice, le passé ou le mérite n’ont aucune importance. Justin Trudeau ne méritait pas d’être premier ministre, mais peut-être sera-t-il excellent.

Consulter le magazine