Cette semaine, Impact Campus vous propose un photo-reportage d’une candidate au doctorat en anthropologie qui a vécu le Mardi Gras de la Nouvelle-Orléans il y a quelques semaines.

Carnet de notes d’une anthropologue en cavale

Plus importante ville de la Louisiane, la Nouvelle-Orléans ne compte pourtant qu’un peu plus de 340 000 habitants. «The Big Easy» a connu, depuis sa fondation en 1718, son lot de souffrances : tensions raciales depuis l’esclavagisme auxquelles se sont ajoutées récemment celles liées à l’immigration d’Amérique latine, corruption, pauvreté, crime persistant ou les récents ouragans Katrina et Rita. Cependant, ses résidents clament qu’ils adorent vivre avec cette maîtresse qui, bon an mal an, accueille des millions de visiteurs en quête d’expériences uniques, cathartiques et ludiques.

Le Mardi Gras est la culmination d’un carnaval grandiose s’étalant du 6 janvier (jour de l’Épiphanie) au mardi avant le mercredi des cendres. Il est sans contredit un des événements-clés contribuant depuis la première parade en 1857 à la réputation débridée de la Nouvelle-Orléans comme «ville des festivals».

À l’origine, c’était la seule journée de l’année où on y était autorisé à parader dans les rues. Le carnaval était un moyen d’usurper le pouvoir que les puissants avaient sur ses participants avec des chars allégoriques qui critiquaient ouvertement l’élite politique républicaine.

Outre l’aspect politique, l’intérêt des touristes contribuait au maintien de ce carnaval. La perception que la culture nationale s’homogénéisait favorisait un contexte de recherche de traditions locales, intouchées par la modernité. Pour les marchands, la romanticisation et l’exoticisation de la ville à travers le carnaval et le Mardi Gras permettaient de faire des affaires d’or. Aujourd’hui, ces différents aspects sont toujours présents, mais actualiser à différents moments, dans plusieurs lieux, avec des caractéristiques propres à chacun. En voici trois.

Bourbon Street, 7 mars 2010, entre 22h et 1h. Lundi Gras.

Haut-lieu touristique et mythique sis dans la haute-partie du Carré Français, les plutôt jeunes touristes qui foulent le sol de Bourbon Street cherchent tout simplement à s’amuser, verres en plastique remplis de bière, Hurricane ou Hand grenade en main. Ils arpentent les trottoirs, à travers la foule compacte, majoritairement en groupe.

L’activité principale de leur randonnée, sur un tronçon de huit rues qui peut prendre jusqu’à une heure à traverser tellement l’espace est compact, est de séduire des femmes et des hommes installés sur des balcons surplombant pour distribuer aux plus offrants des colliers de (fausses) billes confectionnées en Chine.

La légende (devenue urbaine?) mentionne depuis des décennies ces femmes qui dévoilent rapidement leurs seins pour recevoir les dits colliers. Lors de notre visite, nous n’avons vu qu’une jeune femme « flasher » rapidement ses seins (elle n’a rien reçu) et nous avons marché derrière une jeune femme aux seins peints avec une fleur de lys qui n’a jamais demandé son dû. Un choix vestimentaire comme un autre donc.

Parade Zulu, 8 mars 2010, entre 8h et 13h. Mardi Gras.

Dans le jargon populaire, Zulu est appelé la parade des noirs (Black parade). L’histoire du krewe (groupe) Zulu est riche en rebondissements. La petite histoire populaire veut qu’en 1909, un groupe de travailleurs des champs ait été inspiré par un numéro d’une comédie musicale intitulé  «There Never Was and Never Will Be a King Like Me» à propos d’une tribu nommé Zulu. Les historiens du krewe pensent que l’histoire est un peu plus compliquée impliquerait plutôt la réunion de membres d’une organisation appelée Benevolent Aid Society, de membres d’un club de quartier appelé The Tramps et de membres d’autres clubs de quartiers différents.

Trois controverses ont traversé l’histoire des Zulu. Dans les années 1960, les vêtements portés par les personnes qui défilent qui rappellent l’époque coloniale ont été contestés par des organisations de droits des personnes noires. En 1968, la route du défilé du Roi Zulu et de ses ouailles empruntait deux rues importantes de la Nouvelles-Orléans mais pour s’y rendre, les gens devaient traverser des quartiers «noirs».

En 1987, le krewe a dû interrompre sa distribution de noix de coco, le prix le plus prisé des gens qui bordent les rues devant le défilé car il n’a pas pu obtenir la couverture d’assurance nécessaire pour se protéger de la prolifération de poursuites judicaires de personnes qui auraient été supposément blessées par les noix de coco lancés par les membres du krewe. La situation est revenue à la normale l’année suivante, après d’intenses sessions de lobbying et la signature d’une loi à ce sujet par le gouverneur du moment. Tel que le mentionnait Abbert Charles, un résident de LaPlace qui assistait au défilé, ce genre de situation arrive «only in New Orleans». Et pour Raymond Alexander, 10 ans, qui assistait aussi avec sa famille élargie dispersée depuis Katrina, cette parade est justement intéressante parce qu’il espère récolter une noix de coco. Merci au gouverneur Edwards pour ce qui est dorénavant appelé affectueusement, et avec un brin de moquerie, le «coconut bill».

Parade Rex, 8 mars 2010, entre 13h et 15h. Mardi Gras.

Pour impressionner le Grand Duc Alexei Alexandrovich de Russie en visite à la Nouvelle-Orléans, un homme d’affaires organisait en 1872 la première parade qui allait devenir la plus importante du Mardi Gras. La parade a aussi été créée pour attirer le tourisme et les affaires à la Nouvelle-Orléans. Rex signifie roi en latin et Rex agit donc à titre de roi du carnaval.

Si à ces débuts, Rex était un roi «autoproclamé» qui régnait sur la Nouvelle-Orléans mais aussi sur toutes les villes du Sud, de nos jours, à chaque année, le jour précédent la parade du Mardi Gras, on dévoile l’identité de Rex. Se voir décerner ce titre est une des plus importantes distinctions civiques de la ville. La personne qui devient le roi pour une journée est généralement quelqu’un qui a travaillé l’année durant à des causes philanthropiques. Une reine est aussi choisie, une « débutante », dont l’identité est aussi gardée secrète.

Anita Hernandez assistait quant à elle à son 26e Mardi Gras en initiant ce jour-là sa petite-fille à cette tradition. Mme Hernandez se remémorait d’ailleurs son travail bénévole à la suite de Katrina et du déversement pétrolier de l’an dernier. De par ses propres dires, elle est «tombée en amour avec la Nouvelle-Orléans» et c’est plus fort qu’elle, elle doit y revenir annuellement. Un jeune couple rencontré pendant la parade Zulu mentionnait que l’énergie de cette parade est différente, moins de chars, plus tranquille, mais avec des références appréciées à la mythologie, éléments qui portent aux rêves.

Consulter le magazine