La fin de l’exil vidéoludique pour les personnes en situation de handicap

Le 9 décembre 2021, le jeu Forza Horizon 5 décrochait trois prix au Game Awards, meilleur design audio, meilleurs jeux de course et finalement meilleure innovation dans l’accessibilité. Cette dernière catégorie ajoutée en 2020 récompense les jeux présentant de nouvelles technologies et du nouveau contenu permettant à un plus grand auditoire de jouer souligne l’intérêt de plus en plus visible de l’industrie de rendre le monde vidéoludique accessible au plus grand nombre, notamment aux personnes avec un handicap.

Par Ludovic Dufour, chef de pupitre Société

Qu’il soit visuel, auditif, cognitif ou physique, la limitation causée un handicap se reflète tant dans le monde virtuel que réel. Comment tenir sa manette si l’on peine à tenir un crayon, comment entendre le bruit d’un ennemi si l’on est malentendant, comment rester concentré quand on a des difficultés d’apprentissage ? Même des difficultés plus subtiles peuvent devenir d’immenses obstacles. Des allié.e.s qui se distinguent des ennemis seulement par leur couleur restent identiques pour les daltonien.e.s. 

Heureusement, ces problématiques sont de plus en plus prises en compte par les développeur.euse.s qui incluent des solutions dans leurs jeux. Cependant, ces solutions ne sont pas universellement instaurées et chaque problème a sa solution qui lui est propre, ce qui engendre de nouveaux enjeux et souvent des coûts de production supplémentaires. Pour avoir un regard plus précis sur le sujet, nous nous sommes entretenus avec François Chéné, programmeur chez Bkom Studios et chargé de cours à l’Université Laval.

Il note d’abord que plusieurs technologies pour rendre les jeux les plus accessibles possible existent déjà. Par exemple, la possibilité de changer les couleurs des textures ou la taille des textes pour les handicaps visuels ne représente plus un défi de programmation. La plupart des difficultés se retrouvent plutôt, selon le programmeur, du côté du design. Par exemple, pour rester sur l’exemple du visuel, les développeur.euse.s doivent s’assurer que les éléments importants restent distincts, peu importe les teintes pour bien prendre en compte toutes les formes de daltonismes. Cette démarche demande par contre un certain changement de mentalité. Historiquement, l’étape du design, notamment au niveau des interfaces et des menus, se fait avec une approche artistique alors qu’une approche prenant en compte les limitations provoquées par un handicap demande une vue bien plus technique. 

Alors qu’il pourrait être tentant d’obliger l’implantation de certaines mesures afin de s’assurer que l’accès aux jeux soit le plus facile possible, monsieur Chéné ne recommande pas cette approche. Il affirme plutôt que ce genre de mesure pourrait être nuisible aux petits studios. Alors que les grandes compagnies ont davantage de moyens financiers et de développeur.euse.s d’expérience, les petits compétiteurs eux, doivent déjà faire avec moins de ressources. Or, ces approches peuvent engendrer des coûts supplémentaires, demander davantage de personnel et augmenter le temps de développement.

Le programmeur s’intéresse davantage à l’étiquetage comme approche, c’est-à-dire d’indiquer si un jeu comprend des mécaniques d’accessibilité ou non et à quelle forme de handicap ces mécaniques s’adressent-elle ou encore, ce que le jeu demande au.à la joueur.se, par exemple s’il lui demande des réflexes aiguisés ou de lire de longs textes. Cette méthode évite l’achat de jeux auxquels on est simplement incapable de jouer, ce qui évite la frustration ou la déception.

La difficulté d’un jeu est un autre aspect à prendre en compte avec les mécaniques d’accessibilité. Plus un jeu demande de bons réflexes ou davantage de raisonnement, moins il sera accessible. On peut alors s’attendre à ce qu’un bon moyen de régler ce problème soit simplement d’offrir plusieurs niveaux de difficulté, mais comme le fait valoir monsieur Chéné, ce n’est pas toujours aussi simple. D’abord certains jeux tels que la série Dark Souls, se font toute une réputation autour de la difficulté qui leur est associée et la seule mention d’un mode facile provoque une levée des boucliers de la part des admirateurs. Mais surtout, ajuster la difficulté ne se fait pas si facilement. Comme plusieurs éléments interagissent entre eux, la modification d’un facteur demande de modifier plusieurs autres aspects, or, on risque par ce procédé de trouver une expérience complètement différente de l’original et éloignée de la vision artistique des créateur.trice.s. Autre aspect à prendre en compte, diminuer la difficulté ne rend pas nécessairement le jeu bien plus accessible. En fait, il y a autant d’aspects à apprendre, à maîtriser et de variables à prendre en compte. Qu’un ennemi vous abatte en six coups plutôt que trois si on est incapable d’éviter une seule attaque, ça ne change rien. Il existe pourtant des jeux qui parviennent à s’accommoder de ce problème, par exemple Forza Horizon 5, mentionné plus haut, offre l’option de simplement ralentir le jeu afin que chacun puisse jouer au rythme qui lui convient.

Pour d’autres, les problèmes ne viennent pas directement des jeux, mais plutôt des contrôles. C’est le cas d’Alexandre Saint-Pierre qui souffre d’amyotrophie spinale. Sa maladie empêche la régénération des cellules nerveuses, ce qui entraîne une perte progressive de sa mobilité. Obligé à se déplacer en fauteuil roulant électrique, ses bras et ses mains moins agiles le limitent dans beaucoup d’activités, mais il a toujours trouvé son plaisir dans les jeux vidéo. Ce passe-temps a même évolué en passion, car quand il a terminé l’école, les occasions de sortir se faisaient plus rares et le fatiguaient de plus en plus. C’était également un moyen pour lui de garder des contacts sociaux sans sortir.

Cependant, des problèmes sont apparus avec la nouvelle génération de console. Les nouvelles manettes de PlayStation 5 sont plus lourdes et plus grosses que les anciennes. Si pour plusieurs joueurs la différence est négligeable, pour monsieur Saint-Pierre, ce changement l’empêche de jouer sur de longue période où ses bras s’épuisent. La solution à son problème et toute simple «y pourrait les mettre[les manettes] comme celle de Playstation 4», explique-t-il, «mettre les boutons moins durs, juste ça, ça donnerait une grosse chance».

Heureusement, le centre de réadaptation en déficience physique de Charny lui est venu en aide. Ils ont pu lui installer un bras de support qui l’aide à tenir sa manette et ont ajouté une commande plus accessible pour remplacer l’un des boutons de la manette. Ils ont également conçu un système pour faciliter l’utilisation de son ordinateur, mais tout ne devient pas simple pour autant. Le système nécessitant une connexion Bluetooth est parfois capricieux et même quand il fonctionne bien, comme monsieur Saint-Pierre ne peut se servir d’un clavier, chaque touche doit être appuyée par un clic de souris «c’est long, ça prend du temps, mais c’est juste ça que j’ai».

Par chance, les pratiques évoluent. Bien que ce ne soit pas fait partout, de plus en plus de studios implémentent ces mécaniques, inventent de nouvelles solutions et les partagent. La page Web Game Accessibility Guidelines offre aux développeur.euse.s plusieurs mesures pouvant être prises pour augmenter l’accessibilité de leur jeu. Ces astuces classées par catégorie de handicap et par difficulté d’implantation sont le fruit d’efforts concertés de plusieurs studios et professionnel.le.s du jeu vidéo. Lentement, mais sûrement, on progresse pour mettre fin à cet exil des personnes ayant un handicap et pour leur offrir un environnement accueillant pour découvrir ce loisir, cet art, cette passion.

 

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