Sans même dire au revoir

J’étais étendue dans mon lit, cherchant le sommeil. Une pensée martelait mon esprit : mon ami et son grand projet d’aller vivre en Angleterre. Mes pensées se sont emballées en réalisant que la date de son départ m’était inconnue. Je la sentais imminente, allais-je avoir le temps de revenir à Montréal pour lui dire au revoir ?

Par Marie Tremblay, journaliste collaboratrice

Je me suis réveillée le lendemain sous le fait accompli : il était parti. En réalité, il volait dans l’avion au moment précis où je pensais à lui.

J’ai été submergée par un sentiment étrange, mais agréable. Malgré nos interactions grandement espacées dans les derniers temps, je nous imaginais connecté.e.s. Toute la journée, je me suis questionnée, car ce n’était la première fois qu’une coïncidence de la sorte survenait. Pourrait-il exister une force qui surpasse toute forme de communication? Une forme de connexion qui transcende l’univers physique et toute rationalité? C’est là que je suis tombée sur la théorie du principe de la synchronicité.

C’est le psychologue et psychiatre suisse Carl Gustave Jung qui a avancé ce principe après de nombreuses expériences de la sorte rapportées par ses patients. On parle de synchronicité lorsque deux événements (ou plus) se produisent de façon simultanée sans être expliqués par un lien causal, mais étant liés par une relation acausale. Plusieurs d’entre nous ont sans doute déjà vécu des exemples de synchronicité : avoir une chanson dans la tête et l’entendre à la radio quelques instants plus tard, remarquer un chiffre de manière répétitive, penser à une personne quelques instants avant qu’elle nous contacte spontanément. Dans ses écrits, Jung aborde deux aspects qui caractérisent ce phénomène; l’individualité ainsi que l’aspect psychique.

Le lien acausal prend un sens grâce à la personne qui analyse les faits après qu’ils se soient produits. Ceci est défini par le « principe d’individuation » (C.G. JUNG, 1952). En effet, pour un autre individu, les événements en question pourraient n’avoir aucune signification particulière. Au début de ses recherches, Jung utilisait le terme « coïncidences significatives » (C.G. JUNG, 1952), tout simplement parce que ce qui se déroule dans la tête d’un individu ne se produit pas nécessairement dans la tête d’un autre. Le sens qu’une personne donne à une situation est basé sur son historique et son ressenti personnel. En effet, lorsque je me suis empressée de raconter à ma mère ce qui m’était arrivé, sa réaction a frôlé le désintéressement. Sa perception de la situation divergeait de la mienne.

Afin d’établir un lien entre les événements, il est impossible de se référer à la méthode scientifique commune, puisqu’elle se base sur la causalité. Autrement dit, un phénomène s’explique nécessairement par un phénomène antérieur et ainsi de suite. En science, c’est à la suite de multiples observations effectuées sur un échantillon significatif que l’on établit des « lois naturelles » (C.G. JUNG, 1952). Cependant, dans un phénomène comme la synchronicité, il n’y a pas de règles régissant les liens proposés entre les événements. Jung propose de délaisser la conception scientifique traditionnelle du monde pour certains domaines plus généraux sans toutefois nier l’importance des liens causaux dans certains sujets comme la biologie. En acceptant que, malgré l’inexistence d’un lien causal, un phénomène puisse exister, il est nécessaire de supposer l’existence d’une tout autre sorte d’explications. Dans le cas du principe de la synchronicité, au moins un des événements doit se dérouler au niveau psychologique, soit dans le conscient ou l’inconscient. De cette façon, il est possible d’analyser la situation en se basant sur « les propriétés du monde empirique » (C.G. JUNG, 1952). Chacun.e peut fonder des explications, ayant son propre monde intérieur, basées non sur une théorie scientifique, mais sur des expériences, des observations et des circonstances. J’ai constaté que mon ami était dans l’avion (événement physique) à l’instant même où je pensais à lui (événement psychologique) et j’ai perçu une relation entre les deux qui ne peut pas être expliquée rationnellement. L’aspect psychologique du phénomène ajoute une tout autre dimension essentielle qui permet une analyse sans cadre logique.

Lorsqu’un phénomène de la sorte se présente, nous choisissons la manière de le percevoir. Nous pouvons décider de rester sceptiques ou de nous laisser imprégner par ce sentiment spécial et singulier. C’est notre réaction face à l’événement qui est le plus important, qui donne du sens au phénomène. Il passe ainsi de simple coïncidence à un petit miracle singulier, et c’est notre interprétation de ce dernier qui en dit long, pas sur l’occurrence, mais sur nous. En fin de compte, je crois que répondre à la question est-ce possible? est inutile, puisque la question qui demeure est : est-ce que j’y crois?

Référence 

C.G. JUNG, 1952, Synchronicity: An Acausal Connecting Principle, 143 pages, Princeton University Press; Revised edition

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