Un rhinocéros dans le champ

Pendant qu’un taureau d’origine inconnue court en liberté dans New York, Don Gorske absorbe pour la 23 000e fois de sa vie, au Wisconsin, un Big Mac 100 % bœuf. À l’autre bout du monde, au Congo, treize personnes meurent piétinées non pas par un bovidé, mais par une foule dont la colère a été déclenchée par un gardien de soccer qui aurait jeté un sort à l’équipe adverse. Cependant, rien n’est perdu, car le monde a beau aller mal, en République tchèque, les grands-mères majorettes, joufflues de bonheur, poursuivent leur danse de fête populaire en fête populaire…

Un roman, tout ça? Non, simplement une petite revue de presse alternative des nouvelles insolites de notre planète. Car entre une bactérie qui se loge dans les replis graisseux du fromage et un macareux moine qui chie sur Stéphane Dion, pas moyen ces temps-ci de trouver un sujet inspirant dans l’actualité. En ces temps arides où il nous faudrait comprendre une crise financière avec du métalangage boursier, aussi bien se réfugier dans les rubriques «Insolites», qui seules encore nous apprennent quelque chose de pertinent et de nouveau sur l’humanité.

Alors voilà. Non seulement les rubriques insolites des journaux nous font rire, mais elles mettent aussi la lumière sur notre conception du bizarre, quand elles ne sont pas carrément une métaphore de la vie politique. Quel outil de recherche fascinant! Un véritable refuge poétique pour cyniques passagers.

Tiens, prenons ce footballeur sorcier. Pourquoi donc est-ce insolite de soupçonner un gardien de but d’avoir jeté un sort à l’équipe adverse? Tout est question de culture. (Il faut bien que l’on parle de Noirs qui se jettent des sorts plutôt que des vrais problèmes de l’Afrique. Je l’accorde, c’est un des défauts de ces nouvelles bizarroïdes que de colporter, parfois, des préjugés.) Il pourrait paraître aussi étrange à d’autres que l’on puisse apprécier de jeunes filles en tutu rose qui se massacrent les pieds pour faire du joli, alias les ballerines. Regardez le fossé culturel entre les conservateurs et les artistes! C’est que certaines déclarations conservatrices, d’un autre côté, nous laissent aussi pantois que les McMono-obsessionnels.

Quant au taureau dans la ville, c’est peut-être le signe (envoyé par le fantôme d’un sorcier amérindien) qu’il est temps que l’homme se réconcilie avec la nature. Lorsqu’on sait que certaines zones écologiquement protégées font cohabiter des êtres humains avec d’autres espèces, on se demande à quand la proposition de réintégrer les animaux en ville. C’est que les jeunes ont besoin d’être reconnectés à la politique, paraît-il, et que l’enjeu qui les préoccupe est l’environnement. En plus, il paraît que les singes aiment partager, selon un éminent spécialiste des primates, cité sur Rue89. Qu’attendons-nous?

Ce n’est pas le Néorhino, cette plate copie du parti satirique de Jacques Ferron, qui nous amènera des propositions fraîches. On aurait cru qu’il pourrait jeter un peu de flashy dans cette campagne. Mais un parti qui reprend les combats de la gauche pour les vider de toute substance et en faire un objet de clownerie n’est pas le digne descendant de la plaisanterie originale, qui ne se targuait pas de faire avancer le débat politique. On a beau être fans du recyclage, il y a mieux à faire que de trafiquer du déjà vu quand il est question d’imagination politique. «De fête en fête jusqu’à la victoire» : le slogan du parti «satirique» montréalais nous rappelle dangereusement la ronde burlesque des grands-mères majorettes tchèques. Comme quoi tout est lié.

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