Le fromage, un être vivant

Les Québécois sont de grands consommateurs de fromages. Ils sont aussi très exigeants envers l’industrie fromagère. Ils veulent que leur fromage fonde, mais pas trop, qu’il brunisse à la cuisson, mais pas trop, qu’il soit élastique, mais pas caoutchouteux, que leur préparation de fondue au fromage soit liquide, mais qu’elle ne brûle pas et qu’elle enrobe les aliments à la perfection. Houlala! Les artisans fromagers ne savent plus où donner la tête. Par chance, les scientifiques sont là pour les aider à améliorer constamment leurs produits.

Bactéries utiles et sécurité alimentaire
Les bactéries sont, sans aucun doute, l’ingrédient le plus important dans la composition des fromages. C’est à elles que l’on doit la fermentation du lait. Cependant, la crise de la listériose a noirci leur réputation: elle a transformé, aux yeux de la population, nos amies les bactéries en ennemies à éliminer. Près de la moitié des fromageries qui travaillaient à base de lait cru ont dû fermer leurs portes. «C’est dommage», affirme Steve Labrie, chercheur et professeur au département des sciences de l’alimentation et de nutrition de l’Université Laval. «Les fromages québécois à base de lait cru sont des produits d’excellente qualité. Nous étions même en avance sur le reste de l’Amérique du Nord.»

La sécurité alimentaire est certes un enjeu important, mais pas de bactéries, pas de fromage. Les scientifiques ont développé plusieurs méthodes pour détecter les gènes ou les protéines spécifiques des microbes pathogènes présents dans la nourriture, dont le fromage. Les scientifiques ont également démontré que certaines souches de bactéries, telles que Lactobacillus et Pediococcus, ou de levures, comme Geotrichum, que l’on retrouve dans le camembert, peuvent entrer en compétition avec les microorganismes nuisibles et les éliminer.

Méchants virus
Les virus représentent également un énorme casse-tête pour les producteurs de fromages. En effet, on trouve dans le lait cru des bactériophages, des virus non pathogènes pour l’homme mais extrêmement nuisibles pour les bactéries. «Les bactériophages détruisent les bactéries qui effectuent la fermentation du lait», explique Dr Labrie. Comme la fermentation diminue, la production ralentit également et les pertes économiques peuvent être importantes. Mais encore là, les chercheurs ont découvert des souches de bactéries qui ont développé une résistance naturelle contre ces virus. «En faisant la rotation des souches, on diminue énormément le problème», souligne le chercheur.

La typicité d’un fromage est l’ensemble des caractéristiques qui lui donnent son caractère unique: sa texture, sa saveur et son odeur. Elle dépend du troupeau de vaches d’où provient le lait, des pratiques agricoles, du traitement thermique qu’a subi le lait, de même que de la souche de bactéries qui fermente le lait, le ferment, et finalement, du savoir-faire de l’artisan-fromager. On remarque une perte de diversité des ferments avec le temps. «Avant, chaque fromager utilisait un ferment qui lui était propre. Aujourd’hui, 80 % des fromagers à travers le monde se procurent leur ferment auprès d’un des quatre fournisseurs majeurs. Ça diminue la gamme de fromages et la diversité de ceux-ci», déplore M. Labrie.

Défis scientifiques
Au cours des prochaines années, différents défis attendent encore les scientifiques du domaine de l’industrie fromagère. Le développement de produits qui comportent de nouvelles propriétés technologiques et fonctionnelles, mais qui apportent aussi des effets bénéfiques pour la santé des consommateurs, sera un sujet de recherche très chaud. Les fromagers devront également trouver un moyen de conserver une constance dans la qualité de leurs fromages. En effet, le goût d’un fromage particulier peut changer d’un lot à l’autre, ce qui ne plaît pas aux consommateurs. Finalement, les scientifiques veulent en apprendre davantage sur la flore secondaire, des bactéries qui deviennent dominantes au troisième mois suivant la confection du fromage. Ces bactéries sont-elles bénéfiques ou non? Quels sont les facteurs qui influencent leur croissance? De quoi se nourrissent-elles? Quant à Steve Labrie, il consacrera les prochaines années à analyser les propriétés microbiologiques et physico-chimiques de différents laits de terroirs québécois. «Nous voulons identifier des flores bactériennes typiques des régions», explique-t-il.

Un peu d’histoire
Le fromage existe depuis environ 8000 ans. Il est né à la suite de la domestication des animaux. En fait, les premiers balbutiements de fromage proviendraient de lait caillé retrouvé dans l’estomac de certains animaux. On ne sait pas trop pourquoi, mais quelqu’un, un jour, décida d’y goûter et trouva cette pâte fort délicieuse. Le fromage est rapidement devenu une façon de conserver le lait à l’état solide. En effet, l’activité bactérienne, l’abaissement du pH de même que de la quantité d’eau, tous des procédés nécessaires à la fabrication du fromage, permettaient aux Romains de conserver et de transporter le lait. Au Moyen-Âge, la confection du fromage était une spécialité des moines, qui ont développé des techniques d’affinage. Le mot fromage provient du latin forma et du grec formos, qui veut dire «forme». Il est devenu formaticus, qui signifiait «fait à partir d’un moule». En vieux français, on le prononçait formage et fourmage.

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