Une enzyme protectrice

«Le génome de l’humain est composé de 25 000 à 30 000 gènes. Associer un gène à une maladie, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin», affirme Karine Tremblay, auteure principale de l’étude et étudiante au doctorat en médecine expérimentale à l’Université Laval. L’asthme est reconnu comme un trait complexe, c’est-à-dire que son expression est influencée par plusieurs gènes en interaction entre eux et aussi avec des facteurs environnementaux. L’identification de gènes responsables de l’asthme a fait l’objet d’intenses recherches dans les dix dernières années. Au Québec, une seule équipe travaille sur la génétique de cette maladie : celle de Catherine Laprise, professeure-chercheure à l’UQAC et professeure associée à la Faculté de médecine de l’Université Laval.

ALOX15 protège contre l’asthme
Le mois dernier, l’équipe de la Dre Laprise rapportait, pour la toute première fois, l’implication du gène ALOX15 dans l’asthme, une découverte majeure. Pour ce faire, les scientifiques ont étudié huit gènes, préalablement ciblés, chez 223 enfants et leur famille. «Nous étudions les enfants car, pour des études en génétique, plus les sujets sont jeunes, plus on a de chance que la maladie soit associée à leurs gènes plutôt que la cause d’une exposition prolongée à un environnement particulier», explique Catherine Laprise, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’étude des déterminants génétiques de l’asthme.

À l’aide de puces à ADN et de biopsies pulmonaires, ils ont découvert que le gène ALOX15 est exprimé différemment chez les asthmatiques et qu’il est fortement associé à l’asthme. Ce gène code pour une enzyme, la 15-lipoxygénase (15-LO), présente dans plusieurs cellules pulmonaires impliquées dans la maladie, telles les neutrophiles et les macrophages. Les fonctions de la 15-LO sont multiples. Cette molécule exerce tout d’abord un effet protecteur par la biosynthèse de la lipoxin A4, un peptide aux vertus anti-inflammatoires. Elle a également la capacité de bloquer les leukotriènes, responsables de l’infiltration cellulaire présente dans l’asthme. «Suivant nos résultats, ALOX15 serait donc un gène de protection», indique Karine Tremblay. Les asthmatiques auraient une expression altérée de ce gène et ne bénéficieraient donc pas de la protection offerte par la 15-LO trouvée chez les individus sains.

Un gène qui a de l’avenir
Eurêka! Le gène ALOX15 a été associé à l’asthme. À partir de maintenant, que peut-on en tirer? «Le but de ces travaux est bien entendu de trouver de nouvelles cibles pour développer des médicaments. Les anti-leukotriènes sont beaucoup utilisés pour traiter l’asthme mais ça ne marche pas toujours», soutient Karine Tremblay. De par ses fonctions immunitaires, le gène ALOX15 est un candidat intéressant pour développer une thérapie contre l’asthme. «La réponse au traitement de chaque individu semble influencée par son génome», ajoute l’étudiante qui a récemment remportée plusieurs prix pour la présentation de ses travaux sur ALOX15. On distingue trois sortes d’asthme, classées selon les symptômes cliniques : l’asthme, l’asthme allergique et l’asthme professionnel. «Nous aimerions plutôt diviser les formes de la maladie selon les gènes impliqués», souligne Catherine Laprise. Le fait de trouver des gènes particuliers associés à la maladie d’un patient éviterait le système actuel d’essais-erreurs pour trouver la thérapie appropriée. Dans un monde idéal, un motif de génotype particulier pourrait permettre de choisir un médicament. Les gens seraient traités plus vite et avec moins d’effets secondaires. De plus, traiter l’asthme efficacement dès l’enfance aurait des avantages non négligeables. Selon Catherine Laprise, une thérapie basée sur ALOX15 permettrait de prévenir l’inflammation pulmonaire et la détérioration des tissus causée par la maladie. «Il s’agit de bloquer la maladie avant que tous les éléments s’installent», maintient la chercheure.

De la recherche par-dessus la tête
Le travail est loin d’être terminé. L’équipe de chercheurs doit maintenant faire des études fonctionnelles pour identifier le rôle réel du gène ALOX15 dans la maladie. Dans les prochains mois, ils se pencheront donc sur l’élaboration de modèles cellulaires et animales en collaboration avec plusieurs chercheurs canadiens. Mais c’est du domaine du connu pour cette équipe qui a déjà identifié plusieurs gènes de la maladie par les années passées.

Outre la génétique de l’asthme, l’équipe de la Dre Laprise, formée de cinq étudiants à la maîtrise, de trois étudiants au doctorat et de trois techniciens, s’intéresse aux gènes impliqués dans la fibrose kystique, dans l’acidose lactique, dans l’allergie aux arachides et dans l’épidermolyse bulleuse simplex, une maladie de la peau. «On augmente les connaissances génétiques et on caractérise le rôle des gènes. On diminue la botte de foin», conclue avec enthousiasme Karine Tremblay, une étudiante qui semble bien motivée par ses recherches.

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