Pouvoir visualiser le contenu des rêves... Une équipe de chercheurs japonais a tenté de rendre tangible ce qui sonne pour l’instant comme une pure science-fiction.

La machine qui lisait les rêves

Pouvoir visualiser le contenu des rêves… Une équipe de chercheurs japonais a tenté de rendre tangible ce qui sonne pour l’instant comme une pure science-fiction. Les scientifiques ont réussi à décoder les rêves d’un groupe de bénévoles et mis en évidence quand ils rêvaient de choses telles que des voitures ou des femmes. Il s’agit de la première « lecture de l’esprit », où la technologie parvient à recréer des images à l’aide d’un logiciel qui n’utilise rien d’autre que des scans du cerveau.

Valérie Désyroy
Chef de pupitre science et techno

Courtoisie : Wikimedia, SETH ROSSMAN, Creative commons
Courtoisie : Wikimedia, SETH ROSSMAN, Creative commons

Le Professeur Yukiyasu Kamitani et ses collègues du laboratoire de neurosciences computationnelles de l’Institut japonais de recherche en télécommunications avancées ( ATR ) à Kyoto ont récemment publié dans la prestigieuse revue Science une expérience surprenante. Ils jugent celle-ci déterminante pour pouvoir percer l’état psychologique de certains patients, ou déceler des maladies mentales.

Méthode

Depuis une décennie, le chercheur japonais met au point des algorithmes informatiques visant à identifier ce que les gens pensent, rêvent ou regardent. Dans un article de 2005, il rapportait la création d’un programme informatique visant à associer des modèles d’activité cérébrale enregistrés au cours d’une imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle ( IRMf ) avec des stimuli visuels spécifiques.

Récemment, l’équipe nippone a scanné les cerveaux de trois volontaires de sexe masculin alors qu’ils dormaient pour suivre l’évolution de l’activité qui pourrait être liée au contenu de leurs rêves. Ils ont également suivi les motifs électriques dans les ondes cérébrales des participants, afin de pouvoir les réveiller chaque fois que les signaux indiquaient qu’ils avaient commencé à rêver. Chaque fois que les volontaires étaient réveillés, ils devaient indiquer ce à quoi ils étaient en train de rêver avant de pouvoir se rendormir.

Tous ceux qui ont déjà passé une IRM savent que le fort claquement causé par les vibrations des bobines de métal de la machine n’est pas propice au sommeil. Néanmoins, les bénévoles portaient un casque anti-bruit et anti-vibrations, et ont tout de même réussi à somnoler.

La IRMf mesure les flux sanguins du cerveau, et est ainsi censée refléter l’activité neuronale. Les chercheurs ont également utilisé un électroencéphalogramme ( EEG ) pour suivre l’activité électrique.

Plutôt que d’attendre que les participants entrent dans le stade paradoxal du sommeil –stade qui se caractérise par le mouvement rapide des yeux et de longs rêves bizarres et narratifs – l’équipe a profité des hallucinations fréquentes qui se produisent pendant le début du sommeil. À ce stade, les personnes ne savent souvent même pas qu’elles sont
déjà endormies.

Lorsqu’une ondulation de l’activité de l’EEG suggérait la présence probable d’hallucinations, et donc un passage de sommeil léger à plus profond, les chercheurs réveillaient les sujets et leur demandaient de décrire ce qu’ils avaient « vu ».

Le processus a été répété au rythme de 3 séances d’une heure pendant 10 jours, jusqu’à ce que 200 rapports soient recueillis auprès de chacun des « cobayes ».

Résultats

L’équipe rapporte que, bien que quelques-uns des rêves étaient hors de l’ordinaire, la majorité relatait des expériences banales de la vie quotidienne.

D’après les témoignages recueillis, l’équipe du Pr Katamani a choisi 20 larges catégories regroupant les thèmes les plus fréquents, tels que « voiture », « homme », « informatique ». Par exemple, des thèmes comme « clé » et « marteau » ont été classés sous « outil ». Puis des photos représentant chaque catégorie ont été sélectionnées. Les participants étaient ensuite invités à visionner les images alors que leur cerveau était scanné une
seconde fois.

En comparant la deuxième série de données sur l’activité du cerveau avec les enregistrements effectués juste avant le réveil des volontaires, les chercheurs ont pu identifier des modèles distincts dans trois régions clés du cerveau. Ces régions nous aident à traiter ce que nos yeux voient.

Ils ont également conclu que l’activité présente dans un certain nombre de régions du cerveau jouant un rôle plus spécialisé dans le traitement visuel ( par exemple, en nous aidant à reconnaître les objets ) varie grandement en fonction du contenu des rêves.

Enfin, ils ont construit un modèle informatique qui pourrait prédire si oui ou non chacun des thèmes sélectionnés était présent dans les rêves des bénévoles.

Le Pr Katamani explique ainsi qu’il parvient à prédire si, par exemple, une femme est présente dans un rêve avec une précision
de 75 à 80 % !

Lors de la conférence annuelle de la Société pour les Neurosciences la semaine dernière, il rajoutait que ses résultats indiquaient que les tendances de l’activité dans les zones visuelles du cerveau sont les mêmes, que l’on soit éveillé ou en train de rêver.

Perspectives

Ainsi, en utilisant une base de données d’images suscitées en fonction de l’activité cérébrale et un algorithme de reconnaissance de forme, nous pourrons potentiellement lire, ou plutôt décoder le rêve qu’une personne est en train de faire ! L’étude réalisée se limite à décrypter uniquement des catégories de base, mais le Pr Katamani est confiant que la méthode pourrait être étendue à des aspects plus dynamiques et plus émotionnels.

Les auteurs de cette étude espèrent que la technique pourra être appliquée à la recherche clinique. Par exemple, elle pourrait venir en aide aux personnes en proie aux cauchemars fréquents.

Elle pourrait également être à l’origine de futurs travaux portant sur la commande de machines par la pensée, un thème de recherche très prisé au pays du soleil levant.

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