Le 14 mars 2020, le gouvernement du Québec déclarait l’état d’urgence sanitaire pour diminuer la croissance des cas de COVID-19. Plusieurs des mesures établies à ce moment, et remises en place à chaque nouveau confinement, ont provoqué des inquiétudes quant à leurs conséquences sur l’économie de la province. Malgré tout, le gouvernement a continué à imposer ces mesures sanitaires et de mon côté, je me sentais rassuré de voir le premier ministre juger la santé publique plus importante que les aspects financiers. Pourtant, deux ans plus tard, plus précisément le 28 avril 2022, voilà que l’on officialise l’asphyxie de la basse-ville de Québec, et ce, pour faciliter l’exportation du métal.

Par Ludovic Dufour, Chef de pupitre société

La pollution de l’air de Limoilou n’est pas un phénomène nouveau. Entre 2010 et 2012, le ministère de l’Environnement du Québec observait déjà des dépassements des normes établies sur les particules de nickels. 10 ans plus tard, la situation ne s’améliore pas, l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec indique que les résident.e.s de Limoilou sont exposé.e.s à sept fois plus de nickel que les autres citoyen.ne.s canadien.ne.s.

En dépit de ces statistiques inquiétantes, la CAQ a annoncé que la norme serait revue pour que l’on permette cinq fois plus de particules de nickel dans l’air. Cette déclaration a été dénoncée par les partis d’opposition, le maire de Québec et les groupes citoyens. Malgré tout, le Gouvernement a voulu se faire rassurant en précisant que cette nouvelle norme est similaire aux normes européennes et ontarienne.

Or, comme le fait valoir Isabelle Arseneau, doctorante en didactique des sciences à l’Université Laval, dans une lettre publiée dans Le Soleil, l’air européen et ontarien ne peut être comparé à celui de la Basse-Ville. En Europe, les sulfures composent moins de 10% des particules chimiques à base de nickel tandis que le nickel qui pollue la basse-ville se constitue principalement de pentlandite, un sulfure de nickel cancérigène. Elle ajoute dans cette même lettre :

«De l’avis de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME), cela constitue une erreur scientifique fondamentale, d’autant que le nickel a un impact disproportionné sur la santé des enfants.».

Martial Van Neste, de la Table citoyenne Littoral Est, toujours dans une publication du Soleil expose une autre statistique préoccupante : l’espérance de vie de la population des quartiers de la basse-ville est de 6 ans plus courts que celle des autres quartiers de Québec. Il désigne comme coupable le nickel.

Bien que Monsieur Legault assure que sa décision protège la santé des citoyen.ne.s, ses motivations sont par-dessus tout économiques. Il faut savoir que le nickel est un composant important dans la fabrication des batteries, un secteur en pleine croissance suite à la montée en popularité des voitures électriques. Un article de Radio-Canada nous apprend que les lobbys miniers travaillent depuis une dizaine d’années pour que la règlementation soit revue. On y expose également les craintes du ministère de l’Économie et de l’Innovation de voir les activités minières être réduites.

«La mise en place de mesures de mitigation additionnelles [pour minimiser les émissions de nickel] en réponse à de potentiels dépassements de la norme réduirait la compétitivité mondiale des minières de nickel au Québec et pourrait éventuellement les amener à ralentir leurs activités de manière temporaire ou même permanente»

Monsieur Van Neste précise d’ailleurs dans sa lettre que la décision du premier ministre se base entre autres sur un rapport de la Chaire d’analyse et de gestion des risques toxicologiques; chaire notamment financée par les minières Alcan, Glencore et le consortium Euro-métaux.

Le port de Québec pointé du doigt

Les particules toxiques circulant dans l’air de la basse-ville ont forcément une source et les acteurs impliqués indiquent le même fautif : le port de Québec. En 2013, le ministère de l’Environnement conclut ainsi le rapport Origine des concentrations élevées de nickel dans l’air ambiant à Limoilou ;

« La présence de ce minerai[le nickel, principalement sous forme de pentlandite] ne peut venir que du transbordement des concentrés de minerai de nickel dans le Port de Québec.»

Face à ce constat, l’Initiative citoyenne de vigilance du port de Québec propose la mise sous couvert des activités concernant les matières en vrac. Questionnée au sujet de la faisabilité de cette solution, l’Administration portuaire de Québec dit travailler «avec les différents opérateurs pour mettre en place les mesures de mitigation les plus efficaces pour assurer qu’il n’y ait pas de répercussion sur la qualité de l’air dans les zones limitrophes au territoire portuaire.». On précise également que plusieurs des activités portuaires se font déjà sous couvert et que l’administration s’implique activement dans le Comité intersectoriel sur la contamination environnementale et la qualité de l’air de l’arrondissement La Cité-Limoilou.

Ces affirmations sont réfutées par Véronique Lalande, porte-parole de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec. Elle affirme au contraire que le l’administration portuaire ne fait que « remplir une chaise » dans ces comités sans fournir les renseignements et données pertinents sur le problème. Pour la porte-parole, cette participation est une grande opération de relations publiques et la situation est toujours la même qu’il y a dix ans, «Le résultat est encore là. Il y a encore des matières cancérigènes dans l’atmosphère à des seuils qui sont beaucoup plus élevés que ce qu’on retrouve partout ailleurs au Canada, qui ne peuvent s’expliquer que par la présence de ces activités-là à proximité de la zone touchée». L’Administration portuaire de Québec n’a pas réagi à ces accusations.

Alors que s’est-il passé en deux ans pour que l’on passe du premier ministre qui n’hésite pas à mettre le Québec en entier sur pause pour garantir la santé de la population et celui qui plie devant les lobbys ? Bien que je m’efforce d’observer la situation sous plusieurs points de vue, je ne parviens à n’en tirer qu’une seule conclusion; on sacrifie, soit par incompétence, soit par un froid calcule, la santé de la Basse-Ville contre la prospérité des géants miniers et l’assurance pour le Québec de garder des exportations profitables, et ce, avec l’accord soutenu du gouvernement.

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