La guerre des lettres sportives

Pour ceux qui aiment suivre l’actualité sportive, L’Équipe vous dit forcément quelque chose. Pour les non-initiés, le journal L’Équipe est un quotidien sportif français. Ce journal, qui est une institution en France, raconte l’actualité sportive, mettant évidemment l’accent sur le soccer. L’histoire du quotidien commence par une guerre qui vaut la peine d’être relatée.

Fin du XIXe siècle, la France compte déjà un journal sportif qui se nomme Le Vélo. Vous devinez quelle discipline sportive y était privilégiée. Mais voilà qu’au tournant du siècle, son patron, Pierre Giffard, prend position en faveur d’Alfred Dreyfus, dans la saga du même nom qui secoua la France pendant plus de 12 ans. Les publicitaires, majoritairement anti-dreyfusards, n’acceptent pas et quittent vers le nouveau journal L’Auto-Vélo, fondé par Henri Desgrange. La guerre que se livre les deux journaux prend un tournant en 1903, alors que Desgrange perd le procès l’opposant à Giffard et se voit obligé de renommer son journal simplement L’Auto.

À la recherche d’un moyen pour contrer son principal concurrent, Desgrange organise en 1903 la plus grande course de vélo de l’histoire : le Tour de France. Les ventes de son journal explosent et Le Vélo ferme ses portes l’année suivante. C’est d’ailleurs au papier jaune sur lequel L’Auto était imprimé que l’on doit le fameux maillot jaune porté par le meneur du Tour. L’Auto publie jusqu’en 1944, année où il devient interdit en raison de l’occupation allemande. Habilement, son directeur le fait réapparaître quelques mois plus tard sous le nom L’Équipe.

Je parlais de guerre au tout début. Cette fois-ci, L’Équipe doit se battre contre de tous nouveaux concurrents. Et la guerre ne fait que commencer. À la fin du mois de janvier, Le Foot, qui devait être un nouveau quotidien sportif, a dû retarder son lancement de plusieurs mois, faute d’un réseau d’imprimeries fiable et abordable. Mais surtout, en novembre dernier, deux quotidiens sportifs ont vu le jour.
D’abord apparaît le journal Le 10 Sport. Derrière ce projet se cache Michel Moulin, ancien directeur sportif du vénéré club de football Paris Saint-Germain (PSG). Avec lui, le groupe Next Radio TV, qui compte plusieurs antennes de diffusion. L’objectif est clair : briser les reins de L’Équipe. Ce dernier a vu son tirage diminuer de 8,5% en 2007 et ses profits fondre de moitié pour des raisons sportives. L’annulation du rallye Paris-Dakar et l’élimination rapide de la France lors de l’Euro 2008 ont passablement nuit aux ventes du quotidien. Lors de son court passage au PSG, Michel Moulin avait sévèrement été critiqué par les éditorialistes de L’Équipe. Ça sent la guerre? Ce n’est pas fini.

La journée où Le 10 Sport pointait pour la première fois le bout de son papier dans les kiosques à journaux, un autre quotidien sportif lui a rendu la pareille. Même heure, même poste, Aujourd’hui Sport est venu jeter son grain de sel à l’intérieur de l’impitoyable marché des médias. Ce dernier est la réplique lancée par le groupe Amaury, qui possède notamment Le Parisien, France Football et… L’Équipe.

Vous voyez le paysage. Aujourd’hui Sport est né pour freiner, ou plutôt détruire Le 10 Sport qui lui cherche à détruire L’Équipe, qui se voit protéger par Aujourd’hui Sport. La dernière tentative pour détrôner L’Équipe de son monopole des lettres sportives remontait à 1987, date à laquelle le quotidien Le Sport avait été mis en marché. Par un heureux hasard, L’Équipe était passé aux parutions couleurs la journée du lancement de son concurrent. Cumulé à une campagne négative du groupe Amaury auprès d’éventuels annonceurs au journal Le Sport, ce dernier est mort de sa belle mort à peine quelques mois plus tard.

En attendant un seul petit journal sportif digne de ce nom au Québec, espérons que la nouvelle guerre de L’Équipe se terminera, tout comme en 1903, par la création d’un événement sportif aussi grandiose que le Tour de France. Quoi que…

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