Critique de Danse noire, Nancy Huston, Actes Sud
Dans un lit d’hôpital, Milo, mourant, partage ses derniers moments avec son amoureux. Ce dernier, grand réalisateur américain, lui fait part de sa vision artistique : un film mettant en scène son parcours extrêmement mouvementé. Le lecteur (ou spectateur) fait la connaissance de trois personnages tous aussi incroyables les uns que les autres, provenant de trois générations différentes. Suit alors la vie de Milo, un métis abandonné par ses parents à Montréal qui, sautant d’une famille d’accueil à une autre, devra vivre avec la noirceur de ses pensées et celles de ses pairs pour se découvrir et devenir un homme accompli.
Le lecteur voit aussi la vie à travers les yeux d’Awinita, une jeune prostituée qui se laisse violenter et abuser par de nombreux hommes pour soutenir sa famille et qui entretiendra une relation malsaine avec un jeune homme qui profite de sa générosité. On découvre aussi le grand-père de Milo, Neil, un Irlandais qui doit s’enfuir de son pays natal tant adoré à cause de ses enjeux politiques turbulents, pour finalement aboutir au Québec et commencer une nouvelle vie, bien à contrecœur. Dans un panorama impressionnant de vies qui s’étendent sur plus d’un siècle, Nancy Huston nous fait voyager de l’Irlande au Canada pour ensuite finir au Brésil. Nous vivons avec elle la guerre civile irlandaise et la Révolution tranquille québécoise, le tout accompagné du rythme étourdissant de la capoeira brésilienne comme trame sonore.
Danse noire de Nancy Huston est avant tout un livre surprenant par sa forme. Il s’agit d’un long scénario de film. Cet aspect du roman est très intéressant, car il donne à l’histoire un style extrêmement visuel et rythmé. Le lecteur peut plonger directement dans des images fortes qui le hanteront longtemps après la lecture. Dans son nouveau roman, Huston fait preuve d’innovation et présente un style nouveau, hors-norme. Ce qui dérange dans cette longue scénarisation est son côté instable. Danse noire est un roman bilingue. Les personnages s’expriment autant en anglais qu’en français et cela trouble le lecteur à cause de son inconstance. On se retrouve parfois face à un Irlandais qui écrit en français (manière de faciliter le texte) et, à la prochaine page, devant un couple montréalais qui discute longuement en anglais (suivi de traductions situées en notes en bas de page interminables). On trouve aussi de longues narrations plus romanesques insérées en pleine scénarisation. Même si le sujet est souvent lourd, Danse noire est un roman provoquant, touchant, sensuel et choquant qui pousse le lecteur à vivre une panoplie d’émotions vives. Les sujets abordés sont crus, sans aucune censure. C’est aussi une très belle réflexion sur l’héritage et l’identité, thèmes souvent exploités par l’auteur. Il s’agit d’un roman captivant, digne de Nancy Huston.
Genève Rousseau