L’orangeraie
Larry Tremblay
Alto
Des oranges et du sang
Une bombe déchire le ciel, tuant les grands-parents des jumeaux Amed et Aziz, neuf ans. Soudainement, leur vie chavire. À peine les corps sont-ils enterrés qu’il faut déjà venger les morts. Par la force des choses, les deux frères sont tirés du monde sécurisant de l’enfance pour défendre leur pays comme des hommes. Afin que justice soit rendue, Amed ou Aziz doit mourir en martyr afin que soit détruit le repère ennemi situé de l’autre côté de la montagne. Si le choix s’avère difficile, plus pénible encore s’avère la fatalité; si l’un meurt, l’autre mourra à son tour, chacun vivant en l’autre et pour lui. Tous deux veulent bien faire, mais comment savoir si l’on fait le bon choix? Quand des innocents meurent par centaines, la vie a-t-elle une valeur plus grande que la mort? Pourquoi vivre après la mort des siens? Le récit suit la destinée des deux frères qui, à travers l’ombre des orangers, deviennent des hommes comme on devient des soldats, comme on tente de survivre.
Dans L’orangeraie, Larry Tremblay, auteur de Dragonfly of Chicoutimi, Abraham Lincoln va au théâtre et plus récemment, du Christ obèse, esquisse les contours d’un pays inconnu que la guerre ravage. Peu importe de situer l’histoire dans le temps et dans l’espace; ici, seule la dévastation que le conflit engendre compte. L’écrivain, dont la réputation n’est plus à faire, nous fait vivre la guerre de l’intérieur en nous révélant ses effets sur la vie d’une famille déchirée entre l’honneur et la douleur. Tout au long du roman, il nous guide dans un jeu d’apparences à travers des frontières malléables. La ligne séparant la vie de la mort s’efface pour laisser place à un espace où les défunts apparaissent aux vivants et où la mort pèse sur la vie. Celle qui sépare les enfants des adultes n’est qu’apparence alors que les enfants sont trop conscients de leurs gestes et les grands jouent inconsciemment à la guerre. Les bombes renversent l’ordre naturel des choses, rendant possible la mise en terre des aïeuls et des enfants. Plus encore, le mal et le bien jouent au chat et à la souris, car en temps de guerre, tout est une question de point de vue.
Malgré la gravité du sujet et des questions que se posent les personnages, le propos est très accessible grâce à la simplicité évocatrice, quasi déconcertante de l’auteur. Ainsi mis en mots, le tragique n’en est que plus apparent. Dans son dernier opus, Larry Tremblay propose une réflexion tant poétique qu’humaine sur l’absurdité de la guerre. La lecture en est aisée, enlevante. Encore aujourd’hui, alors que la guerre cultive la haine et récolte la vengeance, L’orangeraie est une œuvre d’une grande actualité qu’il faut lire avec le cœur d’un enfant et la conscience d’un adulte.
Kim Chabot