La première ministre du Québec Pauline Marois a impliqué les fonds publics dans la recherche de pétrole sur Anticosti. 115 millions de dollars iront pour trouver les gisements potentiels de la plus grosse île du Québec. En désaccord, des manifestations ont eu lieu partout au Québec pour dénoncer ce partenariat avec des entreprises privées.
Jean Louis Bordeleau
Vendredi après-midi, devant l’Assemblée nationale, il tempête. Une cinquantaine de manifestants scandent des doléances contre le gouvernement.
« Réveillez-vous! »
« On ne sera pas riche, on va avoir détruit le sol! »
Les manifestants craignent les impacts environnementaux. Geneviève McKenzie-Sioui, une activiste affiliée au mouvement Idle No More, expose le problème. « On demande un moratoire à cause de la fracturation. On n’a pas d’étude environnementale. C’est irréversible et on va être pris avec ces trous-là pour l’éternité. »
En phase d’exploration, les techniques de forage sont sensiblement les mêmes que pour la seconde phase, l’extraction. Grosso modo, on creuse un trou dans le sol, on installe un tube d’acier, puis on gaine le trou avec du ciment pour empêcher les fuites.
Mais, pour Mme MacKenzie-Sioui, les fuites sont inévitables. Elles contamineront les rivières, le fleuve, le golfe du Saint-Laurent. Des animaux en voie d’extinction comme le saumon de l’Atlantique risquent d’être directement touchés.
Un manifestant résume : « L’or bleu, c‘est plus important que l’or noir ».
Les contradictions du gouvernement sont aussi soulignées. Avant d’être au pouvoir, le PQ voulait un moratoire sur la fracturation. Avec cette annonce, entre 15 et 18 puits seront forés dès cet été.
Une évaluation environnementale rendue publique
Un rapport d’étude environnementale stratégique (EES) a été dévoilé la semaine dernière. Constat : les risques se confirment.
Le rapport dit que « les possibilités de contamination des eaux souterraines et de surface sont réelles ». Au cours d’opérations « normales », des défaillances techniques sont à prévoir. Les « contaminants » ont donc le potentiel de migrer vers les nappes phréatiques.
Lors de la fracturation, ces contaminants sont majoritairement de l’acide chlorhydrique, ou quatre autres composés avec un nom comme « octaméthylcyclotétrasiloxane ».
Au sol, les déversements « sont assez répandus, mais n’impliquent généralement que de faibles quantités de liquide ». Ainsi, « les risques de contamination du sol ou de l’eau souterraine sont très faibles sur le site même ». Toutefois, des risques « non négligeables » sont à prévoir lors de l’entreposage des eaux usées en surface.
Le rapport mentionne aussi qu’il est « souvent difficile, long et coûteux de corriger des problèmes de contamination de l’eau de surface ou souterraine ».
Tout ça, sans oublier les risques associés au transport du pétrole, aux fuites de gaz et aux GES subséquents.
Mais, contrairement aux dires des protestataires, l’EES énonce qu’« à la fin des activités, les installations sont démantelées, les matériaux recyclés et les têtes de puits fermées de manière sécuritaire pour empêcher toute fuite pouvant perturber l’environnement ».
L’étude pose enfin ses angles morts. L’hypothèse comme quoi la fracturation accélère l’écoulement des contaminants « reste à confirmer ou à infirmer ». La connaissance de la toxicité des composants utilisés est aussi limitée. C’est pourquoi le dossier est renvoyé devant le BAPE. Des audiences auront lieu au printemps 2014.
Une opération hasardeuse
Le professeur à l’Université Laval Patrick Gonzalez émet aussi ses réserves. Spécialiste dans l’économie des ressources, il avance que toute exploration pétrolière est « terriblement spéculative ».
« La plupart du temps où on explore, on ne trouve rien », relate M. Gonzalez. En effet, aucun gisement n’a été à ce jour découvert sur l’île d’Anticosti. Seules des recherches préliminaires indiqueraient la présence de pétrole.
« Phillipe Couillard a dit que c’était “loto-pétrole”. C’est toujours loto-pétrole dans la business. Les petits juniors, comme Pétrolia ou Junex, passent leur temps à monter des petits projets, chercher du financement [pour faire de l’exploration]. »
Ces petites entreprises vendent ensuite les résultats d’explorations aux majors, seules dotées du capital nécessaire à l’exploitation. Ces majors ne sont pas le gouvernement, mais des gros comme ConocoPhillips ou les marchés financiers.
Toutefois, selon le Parti Québécois, 60 % des bénéfices éventuels iront au gouvernement.
En fait, l’annonce du gouvernement servira uniquement à poursuivre la recherche; vérifier si bel et bien il y a du pétrole sur Anticosti. Après, à savoir si on peut l’exploiter de façon rentable, ça prend beaucoup de temps : de « 10 à 20 ans » avance M. Gonzalez.
Et les risques environnementaux? « Le plus gros risque, c’est si ça marche. »
Pour M. Gonzalez, le problème, « ce n’est pas les fuites, mais l’industrie portuaire. Si on exploite, ça va prendre des infrastructures portuaires de 1 milliard [pour exporter le pétrole]. »
Autant le paysage va être touché, autant le visage économique de l’île va changer.