Les étudiants vivent de plus en plus pauvrement. Le « Dossier noir sur le logement et la pauvreté » du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) met en cause les hausses des coûts du logement. Les plus touchées sont les habitations proches de l’Université.
22 % des 15 000 locataires de Sainte-Foy-Sillery sont des étudiants. Parmi eux, 60 % passent plus de 30 % de leur revenu en loyer. 38 % y passent plus de 50 %, et 23 % plus de 80 %.
Puisqu’on considère qu’un budget équilibré normal consacre un tiers de son total au loyer, la présidente de la Confédération des associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval (CADEUL), Caroline Aubry, juge la situation « critique ».
Une hausse significative des loyers
Entre 2006 et 2011, le loyer moyen dans le secteur Sainte-Foy-Sillery est passé de 645 $ à 735 $. C’est une hausse de 14 % en 5 ans. La présidente de la CADEUL mentionne qu’à Québec, « on se classe deuxième dans les loyers les plus chers. On est plus cher que Montréal ».
Cheryl Ann Dagenais du Comité logement d’aide aux locataires en tire une seule conclusion : « Ça prend du logement social et en grand nombre. Cela s’impose non seulement en raison du très grand nombre de ménages en difficulté à Sainte-Foy et Sillery, mais aussi parce que le marché privé ne répond pas du tout à leurs besoins ».
Même son de cloche du côté de la CADEUL. « Ça prend plus de logements sociaux, plus de logements abordables. En ce moment, la situation empire d’année en année. On pense que le municipal devrait agir rapidement », soutient Caroline Aubry.
Pour ce faire, la CADEUL avait proposé lors de la dernière élection municipale la création d’un fonds pour le financement de la construction de logements sociaux. La proposition est restée lettre morte.
À la solution des logements sociaux, François Des Rosiers, professeur titulaire au Département de finance de l’Université Laval et spécialiste en assurance et en immobilier, répond que « le logement social, c’est pour les gens qui sont vraiment dans le bas de l’échelle, qui gagnent un salaire minium et qui n’ont vraiment pas les moyens de se loger sur le marché. »
Un problème de condos
« Moi je ne tire pas la sonnette d’alarme », juge M. Des Rosiers. Il analyse la hausse de 14 % dans Sainte-Foy-Sillery : « Ça fait 2,66 % [d’augmentation] par année. Pour un secteur comme Charlesbourg, c’est 2,59 %. Pour la Basse-Ville, c’est 2,82 %. Pour la région métropolitaine de Québec, c’est 3 %. Il n’y a vraiment pas de quoi paniquer. Les hausses des loyers dans ce quartier ne sont pas exagérées comparées à l’ensemble de la région ».
Le professeur de finance remarque d’ailleurs un relâchement dans la pression immobilière. « À Québec, les taux d’inoccupation sont relativement bas. Ce n’est pas du tout ce qu’on connaissait il y a 10 ans, avec des taux inférieurs à 1 %, 0 %, des choses comme ça. Dans les années 2002-2003, là c’était vraiment serré », remarque-t-il. M. Des Rosiers cite en exemple le projet Cubé-Quatre-Bourgeois qui va, selon lui, « augmenter l’offre [et] réduire les pressions sur le niveau des loyers ».
Pour la présidente de la CADEUL, le problème réside dans l’offre de condos. « Le problème c’est que le fait qu’il y ait plus de condos augmente la moyenne des loyers. Ça crée un embourgeoisement du quartier. Cet embourgeoisement-là fait en sorte que justement les logements qui étaient moins chers augmentent parce qu’ils sont dans un quartier plus huppé qu’avant », explique-t-elle.
À cela, M. Des Rosiers répond que « ce n’est peut-être pas [ces condos] — là qui sont occupés par les étudiants, mais les personnes qui vont les occuper libèrent les autres [logements]. »
Un problème de revenu
La hausse de 14 % en 5 ans peut sembler raisonnable pour certains, mais les revenus n’ont pas suivi. Pendant la même période, le revenu médian n’a augmenté que de 4 %. « C’est un problème de revenu. Soit les gens ne peuvent pas payer, soit les gens ne veulent pas payer », commente M. Des Rosiers.
Entre autres, « il y a un problème d’entretien du parc, poursuit-il. Les sommes qui y sont consacrées sont minimisées, car il n’y a pas de nouveaux logements qui se construisent donc ça réduit la concurrence. Ceux qui possèdent déjà des logements peuvent ne pas être incités à les rénover, parce qu’ils n’ont pas de concurrence. »
« Le problème au Québec est que le niveau des loyers est trop faible pour permettre la construction de logements bon marché. Le loyer moyen c’est à peu près 775 $. Pour construire un deux chambres à coucher bois-brique en proche banlieue, ça prend un loyer de 1000 $ par mois », conclut le professeur.
Vox-pop
Avec une hausse des loyers de 14 % en 5 ans dans les arrondissements proches de l’Université et des revenus qui stagnent, les étudiants vivent souvent des fins de mois difficiles. Impact Campus est allé à leur rencontre afin de connaître leur réalité. Témoignages.
Propos recueillis par Margaud Castadère-Ayçoberry
- Marouane Jazouli, étudiant en génie civil
3 ½, 700 $
Je n’ai pas remarqué une hausse significative de mon loyer. Ça a juste augmenté de 5 $ en juillet. Je sais que j’ai à payer 700 $, donc mon budget est en fonction de mon loyer. Je m’arrange pour qu’à la fin du mois j’arrive à payer mon loyer et à subvenir à mes besoins personnels. Mais le loyer en tant que tel, je trouve qu’il est pas mal cher. Mais je comprends, c’est à côté de l’Université. Les propriétaires essaient d’augmenter au maximum leurs profits.
- Esteban Marinurivé, étudiant à la maîtrise en génie des eaux
En colocation à 4, 300 $ par personne
Mon loyer n’a augmenté que de 3 $ en juillet. Je pense que c’est normal. Mais je trouve que c’est un peu cher pour ce que c’est. C’est compliqué par contre de boucler les fins de mois. Je travaille à côté de mes études. Il me faut 3 semaines de travail pour réussir à payer le loyer. Et une semaine de plus pour la nourriture, et le reste. Le propriétaire ne fait pas forcément de travaux alors qu’il y a beaucoup de choses à faire dans l’appartement. À mon avis, c’est lui le profiteur. On donne l’argent, il devrait y avoir un retour.
- Coralie Chansigaud, étudiante à la maîtrise en marketing
2 ½, 730 $
Je n’ai pas remarqué une hausse significative de mon loyer dernièrement. Mais c’est quand même de plus en plus dur de payer mon loyer. Je travaille 40 heures par semaine pour ça. C’est pas facile. Ça reste un peu trop cher à mon avis. Par contre, je passe par une agence, et c’est très bien entretenu pour le coup. Je n’ai pas de problème de ce côté-là. Après, l’avantage de ce quartier, c’est que c’est proche de l’Université. Je n’ai pas de transport à payer et je suis proche de tout.
- Maude Filion-Trudeau, étudiante à la maîtrise en ergothérapie
5 ½, en colocation à 3, 775 $ au total
Chaque année, le loyer augmente de 15 $. Mais je ne peux pas dire que je paye cher dans le quartier comparativement avec ce que j’ai connu avant. On est chanceux en fait parce que ça fait 7 ans qu’on se repasse le bail, donc c’est pour ça que pour nous, ça n’a pas augmenté énormément. Mais les autres appartements du bloc coûtent beaucoup plus cher. Il y aurait peut-être quand même des rénovations à faire. Le propriétaire ne les fera pas, parce qu’on ne veut pas que ça augmente le loyer [rires, ndlr.]
- Christopher Pelletier, étudiant en histoire
Locataire à Sillery
Oui, le loyer a beaucoup augmenté. Les taxes ont augmenté de 50 % dans le quartier, donc c’est sûr que ça paraît. Le loyer en écope, parce que ce n’est pas juste au propriétaire de payer toutes les taxes à lui tout seul. Après, c’est toute la suite de dépenses qui est compressée, que ce soit l’épicerie ou le reste. Oui, je trouve que c’est trop cher pour ce que c’est. Mais c’est plus la question d’où est-ce que l’argent va qui est problématique. C’est pas comme si on avait la certitude que l’argent qu’on débourse en plus allait dans une amélioration du logement.
- Jérôme Lévesque et Alexandre Allard, étudiants en histoire
9 ½, en collocation à 6, 1 950 $ au total
A. A : Ça fait trois ans que je gravite pas mal dans le quartier de Sainte-Foy et j’ai toujours réussi à trouver un loyer de moins en moins cher. Mais c’est certain que je magasine et que je regarde les loyers les moins chers. Là, on est rendu six dans le même appartement, donc c’est sûr que c’est moins cher.
J. L : On a fait un choix. On voulait vivre un trip en vivant à six personnes, mais aussi on a fait un choix pour diminuer les coûts. Les coûts sont divisés par six. Comme ça, j’ai beaucoup plus de facilité à boucler les fins de mois qu’en habitant juste à deux en appartement. Au niveau des prix du loyer, je pense que c’est dans la moyenne
A. A : C’est sûr qu’on n’aurait pas la même chose ailleurs, ça serait vraiment moins cher. C’est juste que là, on est juste à côté de l’Université, donc ils en profitent pour gonfler les prix.
J. L : C’est clair que ce quartier est plus cher que les autres. On paye aussi pour être proches de l’Université.
A. A : Oui, c’est sûr que les propriétaires en profitent. Ils savent que de toute façon, ils vont les remplir ces appartements-là. Donc ça ne les dérange pas.