Dans le cadre de la sortie du film Citizenfour sur l’affaire Snowden, Impact Campus s’est entretenu avec Stéphane Leman-Langlois, professeur à l’École de service social de l’Université Laval et spécialiste de l’utilisation de technologies de contrôle par la police.
Citizenfour est un film qui pénètre dans l’intimité d’Edward Snowden alors que celui-ci tente de révéler une menace à la vie privée de l’ensemble de la planète. Un double propos dans le contexte qui rappelle celle d’Internet, à la fois outil d’émancipation et de répression. Edward Snowden a entre autre mis au jour que les gouvernements occidentaux surveillent systématiquement leurs propres citoyens ainsi que le reste du monde. Des accusations qui ont ébranlé la confiance de la population envers leurs gouvernements et les grands fournisseurs de services informatiques.
Pour Snowden, le travail de la NSA est tout simplement « la plus grande oeuvre d’oppression de l’histoire de l’humanité ». Ainsi, au-delà de la vie privée, c’est une vision de l’avenir de l’ère de l’information qui est en jeu. Des révélations qui n’ont toutefois pas réellement modifié la donne en ce qui concerne les agissements du gouvernement. C’est à tout le moins ce que pense Stéphane Leman-Langlois. « Le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS), son travail principal ce n’est pas de surveiller les activités criminelles. Ce que le SCRS fait, c’est de surveiller les activités politiques des gens ».
Ainsi, comme Snowden l’affirme dans le film, le principal but de la surveillance n’est pas réellement d’empêcher des attentats. « On ramasse cette information-là pour être sûr d’avoir tout, mais des cas où on n’aurait pas réussi à mener une enquête correctement à cause du manque de ces informations-là, il n’y en a pas », explique M. Leman-Langlois. « Au plus fort du scandale Snowden, on a demandé aux responsables de divers organismes de renseignement de donner des exemples d’attentats qui auraient été détournés et ils n’en ont pas trouvé. La surveillance effectuée par la NSA était accessoire ».
Si les gouvernements surveillent les populations, c’est avant tout parce qu’ils le peuvent, déplore M. Leman-Langlois : « Malgré le fait que ce ne soit pas suprêmement intéressant, il n’y a pas de raison de pas prendre tous ses outils. Quand on va faire un travail, on amène la boîte à outils au complet ».
À défaut de pouvoir se concentrer sur les activités criminelles et de sécurité nationale, les grandes institutions de surveillance de Canada et d’ailleurs s’intéressent aux activités politiques des citoyens. « Au Canada, le SCRS cible de plus en plus les groupes environnementalistes. Ils les appellent des radicaux, mais ils n’ont pas d’agenda d’actions radicales et on passe un temps fou à les surveiller », indique l’expert en surveillance.
Dans Citizenfour, il est beaucoup question de métadonnées. Il peut sembler tout à fait inoffensif que les gouvernements aient en leur propriété des données somme toute bénignes telles que votre liste d’appels téléphonique et leur durée, mais il s’agit toutefois d’informations qui peuvent en dire long sur nos habitudes de vie. « Notre vie est numérisée », explique M. Leman-Langlois. « C’est sûr que les gens s’imaginent que leurs courriels sont surveillés, mais il y a tellement d’autre chose que l’on fait dans une journée ordinaire qui semble ne rien avoir à faire avec Internet, mais qui finalement se retrouve à laisser une trace dans une banque de données quelque part ».