Bernard Landry et l’altermondialisme

J’ai assisté le 7 octobre dernier à une conférence de M. Bernard Landry, ex-chef du Parti québécois et ancien premier ministre du Québec. La conférence devait porter sur la transition économique du Québec, de province à pays (après un hypothétique référendum d’indépendance). Outre le fait que M. Landry n’ait pas abordé le sujet principal de la conférence (ce qui en soi n’est pas tant un problème), cette conférence m’a laissé perplexe pour plusieurs raisons.

En prenant le temps d’expliquer la pertinence du discours altermondialiste, il semblerait que M. Landry, qui est politiquement et économiquement d’idéologie néolibérale (la lecture de Contes et comptes de Léo-Paul Lauzon le prouvera au néophyte), ait adapté son discours à l’assemblée qui l’écoutait, composée majoritairement d’étudiants et d’étudiantes. Il a aussi énuméré une série de valeurs qu’il faudrait défendre : la dignité, le respect des peuples, le respect des nations… il fut même question de solidarité!

Loin d’être en désaccord avec ces valeurs, je sursaute néanmoins lorsqu’il continue sa conférence en louangeant les grandes institutions financières internationales que sont le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE, etc. Ces institutions étant critiquées par les altermondialistes, cette juxtaposition simpliste se devait d’être questionnée, ce que je fis en allant prendre le micro devant cette assemblée dont l’allégeance était déjà connue : n’est-il pas contradictoire d’affirmer vouloir défendre ces valeurs, tout en louangeant les institutions financières? Ces institutions ne sont-elles pas les premières à mépriser la souveraineté des nations et la dignité des peuples? Par exemple : la Banque mondiale obligea en l’an 2000 la privatisation de l’eau en Bolivie. Cette privatisation, qui a mis en danger une large part de la population bolivienne, fut heureusement annulée suite à une révolte populaire.
 
Il aurait été relativement simple d’admettre la pertinence des critiques visant la mondialisation, puis d’expliquer comment ces institutions pourraient théoriquement être améliorées. Il est néanmoins dommage que M. Landry ait plutôt décidé d’éviter le fond de la question, préférant rappeler que Pascal Lamy, président du FMI, est aussi un membre du parti socialiste français, puis que Lula da Silva, président du Brésil, y est lui aussi impliqué. Le raisonnement serait donc : 1) toutes les institutions dirigées par des socialistes sont respectables, 2) le FMI est dirigé par un socialiste, donc Conclusion) le FMI est respectable. Évidemment, on peut se demander si avoir sa carte du Parti socialiste de France fait de Pascal Lamy un « véritable socialiste », puis si la respectabilité d’une institution n’est vraiment liée qu’à la bonne volonté de ses dirigeants.

M. Landry omet aussi de citer les nombreux économistes de renommée internationale qui critiquent ces institutions néolibérales. Pensons notamment à Joseph Stiglitz, récipiendaire du prix Nobel d’économie (2001) et ancien économiste en chef de la Banque mondiale. Ce dernier quitta la Banque mondiale en remettant en question la façon dont elle aide supposément les pays pauvres. Il critique depuis le FMI pour ses politiques qui favoriseraient l’appauvrissement de plusieurs populations déjà vulnérables. Pensons ensuite à Paul Krugman, lui aussi récipiendaire du prix Nobel d’économie (2008). Dans ses chroniques au New York Times, M. Krugman critique durement ces institutions et l’incohérence des politiques qu’elles mettent de l’avant, favorisant la domination des pays pauvres par les pays riches, la privatisation du bien commun et la mauvaise gestion des fonds publics.

Il est aussi fort intéressant de constater tout le mépris de M. Landry pour les militants et théoriciens altermondialistes, dont il semblait pourtant endosser les idées quelques minutes plus tôt. Répondant à ma question, il fut possible d’extirper cet extrait d’honnêteté :  « souvent totalement ignorants des choses qui se passe dans ces institutions [financières] » et qu’il « aime mieux être avec Lula, qu’avec les manifestants qui ne savent pas toujours de quoi ils parlent, même si je comprends leur idéalisme : on peut être idéaliste et réaliste en même temps ». Il semblerait donc que son discours ne visait qu’à flatter un auditoire néophyte ou mal avertis.

De plus, l’attitude politicienne et partisane de M. Landry mérite aussi d’être notée. Outre le fait d’avoir tenté de me ridiculiser en affirmant que j’étais contre toutes formes d’institutions internationales, ce qui est faux, que doit-on penser d’un conférencier qui, plutôt que de répondre sérieusement à une question, préfére s’en sortir par ce genre d’insultes : «alors la conspiration des multinationales pour contrôler les organisations internationales, dîtes à Françoise d’approfondir là-dessus»? De la part d’un ancien premier ministre du Québec, il me semble nous pouvions nous attendre à un niveau intellectuel plus élevé.
 
Il semble pourtant que M. Landry ait gagné une bataille médiatique : certains journalistes décriront sa « réplique cinglante », en précisant bien qu’une bonne part de l’auditoire à « applaudi à tout rompre ». Néanmoins, je ne peux qu’être perplexe lorsqu’un journal préfère décrire le comportement d’une foule, que d’analyser la cohérence des propos exprimés. Aussi, est-il normal de voir 200 personnes applaudir « à tout rompre » le discours incohérent et démagogique d’un conférencier, aussi connu soit-il? Je suis peut-être naïf, mais de la part d’étudiants universitaires, ne peut-on pas s’attendre à un minimum d’esprit critique? Je me serais attendu à une quelconque révolte de la part de personnes dont l’intelligence venait d’être testée. M. Landry n’est pas au dessus de la critique : lorsqu’un politicien manipule les citoyens, il me semble que nous avons tous la responsabilité de le remettre à l’ordre, non pas par revanche ou simple partisanerie, mais bien dans l’intérêt supérieur de la collectivité. Si nous voulons bâtir une société plus juste, où les citoyens et les citoyennes du Québec pourront contrôler leur avenir, nous devrions peut-être éviter la démagogie et tenter de construire sur le respect de l’autre et l’honnêteté intellectuelle.

Jean-Nicolas Denis
« un jeune militant de Québec solidaire »

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