On n’a plus 20 ans

Lorsque je grandissais, mon grand-père était déjà à la retraite. C’est lui qui venait me chercher à la garderie et je passais une partie de mes étés en sa compagnie.

Aujourd’hui, mon grand-père souffre de l’Alzheimer, une affreuse maladie cognitive et dégénérative. Lentement, on oublie le présent, et le passé prend une grande importance. Ceux qui en souffrent vivent leurs vies dans le passé alors que le monde autour d’eux continue à être au présent.

Mon grand-père a toujours été rieur et blagueur et souvent il tente de masquer son handicap par le rire, mais il en perd beaucoup.

L’autre jour, en lui racontant ma quête d’un sapin de Noël, il m’a dit : « Va chez Woolworth, sont 15 cents ! ». Une phrase n’ayant été prononcée par personne depuis l’abolition de la prohibition.

Ses erreurs ne sont toutefois pas toujours innocentes et sans conséquences. Il parle souvent de son frère comme s’il vivait toujours, 40 ans après sa mort. Lorsqu’il me parle de son frère et de sa mère et de leurs visites aussi fréquentes qu’imaginaires, je lui explique qu’ils sont morts depuis des décennies, vivant uniquement dans sa mémoire enfumée.

Parce que j’ai une règle avec mon grand-père : je lui dis tout, sans artifices et sans mensonges. Je lui dois bien ça.

Les rôles sont inversés. Lorsque je vais le visiter, il me demande la permission de manger du chocolat. Une demande qui me ramène en enfance, mais qui, bien sûr, inverse les rôles.

Mais, maintenant, mon grand-père ne sait plus signer son nom. Chaque jour, c’est de pire en pire et le personnel médical est clair : comme un enfant, il a besoin d’encadrement.

J’ai donc visité des maisons de ti-vieux; des grosses, des petites, des taudis et des châteaux.

On a une place dans une maison abordable, propre, avec des activités et près de chez nous.

Maintenant, par contre, il faut le lui dire et de voir sa réaction en lui expliquant qu’il doit quitter sa maison pour toujours me terrifie.

Je pense à tout ce temps que toute la famille a mise et continue à mettre afin qu’il soit bien, mais je ne peux m’empêcher de me sentir terriblement ingrat de faire une telle chose.

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