Courtoisie : la Bordée

Conjuguer théâtre, études universitaires… et syndrome d’Asperger

À la Bordée jusqu’au 13 février, Matéo et la suite du monde illustre ce qui se produit dans la tête d’un étudiant atteint du syndrome d’Asperger. À travers ce personnage, le comédien et étudiant en langue allemande à l’Université Laval Mathieu Bérubé-Lemay s’exprime indirectement face au public.

Il réussit depuis plusieurs années à faire concorder son trouble du spectre autistique et ses études universitaires. Bachelier en traduction et étudiant au certificat en langue allemande, Mathieu présente pour la première fois une pièce avec des professionnels.

C’est sa participation au Talent Show organisé par Autisme Québec qui a nourri son intérêt pour la scène. Il a par la suite contacté l’organisme Entr’Actes, qui offre des ateliers artistiques aux personnes handicapées, pour l’aider à donner au Show une allure plus structurée. Ont suivi des inscriptions à plusieurs ateliers d’improvisation et de théâtre, ce qui l’ont conduit à cette rencontre décisive avec Jean-François F. Lessard. Le metteur en scène et directeur artistique d’Entr’actes voit alors tout le potentiel en lui. De cette collaboration naît Matéo et la suite du monde.

Difficultés amplifiées

Puisque Matéo est inspiré de Mathieu, est-ce que la pièce reflète bien les défis auxquels est confrontée une personne atteinte du syndrome d’Asperger ? Selon le principal intéressé, deux personnes atteintes du même syndrome ne réagiront pas de la même manière à tous coups. Pourtant, on obtient de la pièce un résultat fidèle à la réalité.

Dans le manuel diagnostique des troubles mentaux, avant d’être répertoriés comme troubles du spectre de l’autisme, on parlait plutôt de troubles envahissants du développement. «Envahi oui, mais par quoi? », se questionne Mathieu.

Envahi par la peur de devenir insignifiant, de ne plus rien dire d’intéressant, par le besoin d’aider, par le rôle de mère que l’on doit assumer malgré soi et, dans le cas de Matéo, par l’absence d’une figure paternelle ou le manque d’affection maternelle, par le besoin de s’exprimer et de s’intégrer… Toutes ces craintes et tous ces besoins sont véritablement le genre de difficultés rencontrées aussi bien par un autiste que par un «neurotypique».

Seulement, ces difficultés sont amplifiées chez Matéo. Un vieux documentaire sur la pêche aux marsouins qui obsède Matéo (Pour la suite du monde de Pierre Perreault) évoque en lui le sentiment de n’avoir reçu aucun héritage de son père. C’est ce qui l’envahit constamment, en plus de la crainte de ne pas réussir à se frayer une place dans cette société rapide et précipitée. « Il se fait dire qu’il n’est pas comme les autres, qu’il doit s’intégrer et parfois qu’il ne doit pas le faire. Ça finit par le troubler », explique le comédien.

 

Courtoisie : la Bordée
Mathieu Bérubé Lemay
Courtoisie : la Bordée

Conjuguer études et théâtre

Malgré tout, le comédien est formel : il faut essayer de s’intégrer, de s’exprimer. À bien des égards, Mathieu peut se reconnaître en Matéo. Le syndrome d’Asperger ne l’a cependant pas empêché d’entamer des études universitaires et de devenir acteur de théâtre. Mais comment concorder le tout?

« Mes parents m’aident beaucoup à me faire des horaires pour m’aider à planifier, à visualiser ma semaine et à éviter les conflits », explique l’étudiant au certificat en langue allemande. En préparant la pièce, Mathieu a été entouré d’une équipe avec laquelle il a pu aisément collaborer. « Ils ne m’ont pas regardé de haut, nous avons travaillé ensemble », constate-t-il.

Poursuivre des études

Le conseil qu’il donnerait à quiconque atteint d’un trouble semblable au sien et désirant poursuivre des études ou une passion serait de ne « surtout pas avoir peur de demander de l’aide ». Chez un autiste, créer un contact avec les autres est une problématique perceptible notamment dans son incapacité à s’exprimer. Il faut tout de même trouver des solutions pour passer au travers.

L’aide de ses parents, qu’il souligne à plusieurs reprises, est indéniable. « C’est eux qui ont initié toutes les démarches auprès des Centres d’aide aux étudiants et qui se sont battus dans toutes mes batailles. » Certains moments de son parcours scolaire auraient été insurmontables s’il avait été seul.

Quant aux enseignants, ils se sont généralement montré compréhensifs. Voilà un point qu’il ne partage pas avec Matéo dont le professeur (interprété par Jack Robitaille) est très peu compatissant. Cela dit, contrairement à son personnage« je n’harcèle pas mes professeurs », fait remarquer Mathieu.

Si Matéo se présente devant chaque classe avec un petit papier lui permettant d’expliquer sa situation et se trouver un ou une preneur(euse) de notes, c’est parce qu’en réalité, c’est une des techniques utilisées par Mathieu pour faciliter son intégration en cours. Au moins deux ou trois étudiants se montraient volontaires dans chacune de ses classes, pour l’aider, laisse-t-il entendre.

Le plus important, insiste Mathieu, c’est de faire ce qu’on aime. Sa mémoire phénoménale aura été un outil considérable pour sa réussite. On le surnomme même « l’Encyclopédie du Cinéma ». Mais cette force est certainement bien plus efficace lorsqu’utilisée là où il y a de l’intérêt, comme les langues ou le théâtre, les domaines de prédilection du jeune interprète.

Croyant s’être un peu égaré dans la discussion, Mathieu tient à conclure l’entrevue clairement. « Ce qu’on obtient de la pièce, c’est de trouver sa voix et d’essayer de s’intégrer, ça c’est certain, mais toujours en prenant son temps. Rien ne sert de se précipiter, il faut s’écouter, se poser des questions et aller à son rythme dans le but d’atteindre ses objectifs et de s’intégrer. » Peut-être est-ce pour cela que Mathieu a choisi, pour s’exprimer, la voix du théâtre. Une voie qu’il a bien l’intention de poursuivre.

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