C’est avec consternation et inquiétude que les maîtres de langue des universités québécoises avaient appris la nouvelle l’an dernier. L’exemption des frais de scolarité majorés permettaient à des étudiants de partout sur la planète de venir apprendre la langue de Molière au Québec, moyennant les mêmes frais que les étudiants québécois. Résultat, tant à Québec qu’à Montréal, Trois-Rivières et Chicoutimi, le nombre d’inscription de ces étudiants est en chute libre. Ainsi, le programme de l’Université Laval pour les non-francophones, fondé en 1937 par Monseigneur Alphonse-Marie Parent, menace de disparaître.
L’Université Laval, qui accueillait en moyenne 160 étudiants par session, ne compte plus que 60 étudiants étrangers sur ses bancs. Dès la mise en application de cette mesure par le ministère, appuyée par la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), pour laquelle l’ancien recteur Michel Pigeon était président à l’époque, l’Université Laval a perdu plus de 60 élèves, alors que l’Université de Montréal en a systématiquement perdu 87. Aux dires de Nicole Lacasse, vice-rectrice adjointe aux études et activités internationales, la direction de l’institution lavalloise était opposée à cette mesure, mais a dû se soumettre à la décision de la majorité?:?«Nous étions contre. Mais les universités québécoises n’ont pas toutes les mêmes priorités, explique-t-elle. L’Université Laval a demandé de continuer à charger moins pour ces cours, mais le ministère a refusé. Les frais de scolarité sont balisés. On ne peut pas charger moins», continue-t-elle.
Les partenaires de l’UL contestent
Au lendemain de cette décision, le ministère s’était dit convaincu que la qualité des programmes offerts dans les universités allait éviter une telle débâcle. Dans un milieu aussi compétitif que l’éducation, l’énoncé s’est révélée tout faux. Plusieurs partenaires de l’Université Laval ont écrit à la Faculté des lettres et au ministère, signifiant que l’excellence de l’enseignement et les bons sentiments n’allaient pas l’emporter sur le portefeuille. Par exemple, dans une lettre adressée à la ministre, écrite conjointement par des représentants d’universités américaines du Nebraska, de l’Indiana, de l’Ohio, de la Georgie et de l’Arizona, dont Impact Campus a obtenu copie, il est clairement signifié que leurs programmes «ne pouvaient en aucun cas supporter une augmentation de plus de 2000$ par étudiant, ce qui mettrait par-là même un terme à notre collaboration avec l’Université Laval».
Ces représentants ont également souligné qu’ils chercheront des alternatives naturelles au Québec, c’est-à-dire la France, qui offre évidemment les mêmes programmes, mais à un prix beaucoup plus bas que les 7500$ maintenant exigés à leurs étudiants, en comparaison des 1800$ qu’ils payaient à l’habitude. D’autres universités dans le monde ont emboîté le pas. Au total, plus d’une centaine de lettre provenant de professeurs, d’étudiants et d’accompagnateurs ont été envoyé à la ministre. Résultat: des quatorze maîtres de langue de l’Université qui enseignaient le français à ces étudiants, il n’en reste plus que sept qui ont du travail cette session. Plusieurs chargés de cours des sessions d’été se retrouvent aussi touchés. La vice-rectrice aux études avance que la direction envisage de prendre le virage des cours à distance, pour compenser le vide créé par la diminution des inscriptions. «Nous travaillons sur des alternatives pour faire travailler les professeurs.
Choix stratégique du ministère
Le retrait de l’exemption des frais majorés ne constitue pas des coupes dans le domaine de l’éducation. L’exemption accordée aux étudiants étrangers venant apprendre le français dans les différentes écoles de langue des universités québécoise, sera transféré à ceux s’inscrivant dans des programmes de deuxième et troisième cycle. «Beaucoup d’étudiants ne terminaient pas leur cours, selon Jean-Pascal Bernier, attaché de presse de la ministre Courchesne. Il y a des cours de français qui sont toujours couverts par l’exemption dans le cadre de formations autres. Il y a des choix qui ont été fait et nous trouvons important que le nombre de bourses d’exemption reste le même pour d’autre programmes d’études. Les universités se voient octroyer plus de subventions.» Ainsi, le ministère espère attirer davantage d’étudiants aux cycles supérieurs.
Cependant, selon Richard Dion, président du Syndicat des maîtres de langue de l’Université Laval, cela est en contradiction avec les fondements de l’Université:«Une des missions de l’Université, est de diffuser le français. Même l’ancien recteur François Tavanas répétait ?que le programme d’enseignement du français à Laval était celui dont il entendait le plus parler lors de ses voyages à l’étranger, et qu’il constituait une formidable fenêtre pour l’Université, affirme-t-il. Il y a beaucoup d’étudiants qui restent après avoir suivi le programme. Ceux qui ne restent pas, retournent chez eux et répendent la bonne nouvelle», continue-t-il. De son côté, Raymonde Coulombe, également maître de langue, a vivement réagi aux propos qu’avaient tenu la ministre lors de l’adoption de cette mesure contestée. À l’époque, Mme Courschene avait alors qualifié les étudiants de touristes linguistiques. «Je trouve insultant de dire que nos étudiants font du tourisme linguistique. Ils paient pour leur logement, leur transport et ce dont ils ont besoin pour vivre. Je n’appelle pas cela des touristes. C’est une formidable occasion pour le Québec d’attirer des immigrants. On leur donne le goût du Québec, on leur apprend la culture», dit-elle.
Réactions des associations étudiantes
David Paradis, président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) qualifie la décision ministérielle de «politique irresponsable qui vise à déréglementer l’accès à nos universités pour les étudiants étrangers. La ministre veut transformer les étudiants étrangers en vache à lait pour les universités», poursuit-il. Simon Bérubé, président de la CADEUL, abonde dans le même sens?:«Ça prouve que la déréglementation des frais de scolarité a des effets pervers sur l’accès à l’éducation. Ça prouve aussi que le gel de tous les frais de scolarité reste la meilleure des solutions», termine-t-il.